[Hors-Compétition]
De quoi ça parle ?
De l’obsession d’un jeune gendarme, Paul Chartier (Anthony Bajon), qui tente de retrouver deux jeunes filles disparues dans les environs de Charleroi, en Belgique, au milieu des années 1990. Rapidement, il devine que la disparition est liée à d’autres affaires similaires et remonte la piste qui mène à Marcel Dedieu (Sergi Lopez), un type déjà condamné pour des faits de délinquance et d’agressions sexuelle. Il est convaincu que le type détient les adolescentes disparues dans sa cave. Mais Paul se heurte à son supérieur, Charles Hinkel (Laurent Lucas) qui le freine dans toutes ses initiatives. Carriériste, cet officier sait que la résolution de l’affaire pourrait lui être bénéfique, mais il est aussi conscient que le moindre faux pas, le moindre scandale, pourrait aussi s’avérer fâcheux pour son avancement, surtout dans le contexte de l’époque, marqué par une sorte de “guerre des polices” entre la police judiciaire, la police communale et leur corps de métier, la gendarmerie. Non seulement ces forces de l’ordre ne coopèrent pas, mais elles ont aussi la fâcheuse manie de se tirer dans les pattes, prêtes à profiter des déboires de leurs “concurrents”. Aussi, Hinkel a décidé de mener l’opération “Maldoror”, destinée à surveiller Dedieu, dans la plus grande discrétion, et en se limitant à des périmètres ne risquant pas de nuire à la gendarmerie.
Paul ne supporte pas cette situation frustrante. Trop impétueux, il finit par agir en dehors des procédures, désobéir aux ordres et mettre en péril son enquête autant que sa carrière. Pire, il met aussi en péril son couple car, dévoré par son obsession, il délaisse peu à peu son épouse (Alba Gaïa Bellugi) et leur nouveau-né.
Pourquoi le film est un “calvaire” ?
Pour le scénario de son nouveau long-métrage, Fabrice Du Welz s’est inspiré de l’affaire Marc Dutroux, un fait divers retentissant ayant secoué la Belgique, au coeur des années 1990. Entre 1995 et 1996, Dutroux, aidé de deux complices et de sa compagne, Michèle Martin, a kidnappé, violé et séquestré six jeunes filles et commis cinq meurtres. L’enquête a mis en évidence le dysfonctionnement des forces de l’ordre, qui auraient dû être entre mesure d’arrêter bien plus tôt le criminel, déjà condamné à maintes reprises pour faits de délinquance et agressions sexuelles, et probablement de retrouver toutes les victimes vivantes. Ceci a induit, quelques années plus tard, la réforme de la police belge.
L’affaire a aussi choqué par la révélation, durant l’instruction, de l’existence d’un potentiel réseau pédophile que les enlèvements de jeunes filles auraient pu alimenter. Plusieurs témoignages ont été recueillis, impliquant Michel Nihoul, un homme d’affaires, comme étant à la tête de ce réseau, mais la justice n’a pas pu – ou pas voulu – creuser cette piste et, malgré plusieurs éléments probants, l’existence d’un tel réseau n’a jamais pu être démontrée officiellement.
Fabrice Du Welz a choisi, lui, d’intégrer cette hypothèse plus que plausible, qui donne à cette affaire déjà retentissante une ampleur effroyable. Il s’est documenté pour pouvoir coller le plus précisément aux faits réels et toute la partie du récit articulée autour de Marcel Dedieu correspond exactement au parcours criminel de Dutroux. Le cinéaste a juste changé les noms de tous les protagonistes : Dutroux devient Dedieu, incarné par un Sergi Lopez animal. Michel Lelièvre, le complice du criminel, est ici Didier Renard (David Murgia). Et Michel Nihoul devient Jacky Dolman (Jackie Berroyer).
Si Du Welz a choisi de coller au plus près du réel pour évoquer l’affaire criminelle, il prend davantage de libertés pour le fil conducteur autour de Paul Chartier. Il a voulu faire du personnage un antihéros de film noir bien poisseux, dans la lignée des romans de James Ellroy, Jim Thompson ou Caryl Férey, un jeune flic idéaliste qui finit par se perdre dans sa quête de justice obsessionnelle, trop seul pour affronter de telles ténèbres et un réseau d’une telle ampleur, et trop têtu pour renoncer.
L’idée était plutôt bonne, d’autant qu’on sait qu’Anthony Bajon a toutes les qualités pour incarner ce type de personnage complexe. A l’écran, cela fonctionne, du moins au tout début du film. On s’attache à ce rookie qui essaie de faire rapidement ses preuves à sa hiérarchie, histoire de montrer qu’il n’est pas comme ses parents – père taulard, mère prostituée – et qu’il est digne d’épouser Jeanne, sa belle sicilienne.
Le hic, c’est que le personnage dérape bien trop vite pour être crédible. Il ne faut en effet pas longtemps à Chartier pour qu’il se laisse happer par son enquête, au point de délaisser femme et enfant. Or rien ne justifie vraiment cette bascule. Soit la mise en scène ne restitue pas suffisamment bien l’engrenage le conduisant à une obsession autodestructrice. Soit il manque des éléments permettant de comprendre la psychologie du personnage. Soit, le personnage est complètement idiot. La troisième hypothèse se défend, car Chartier n’est pas finaud. Il agace par ses mauvais choix, ses décisions prises sur un coup de tête, en dépit du bon sens, ses coup de sang. Ah, ce n’est pas lui qui va redorer le blason de la gendarmerie… Et justement, cela nous amène à un second point de crispation : on ne peut pas admettre qu’un type aussi pointilleux que Hinkel, responsable d’une unité reposant sur le parfait respect de l’autorité et des procédures, ne mette pas à pied le jeune chien fou dès ses premiers écarts de conduite. Cela n’est pas rationnel. Sauf à considérer qu’il est lui-même totalement crétin… Ce qui serait un peu étonnant de la part d’un militaire carriériste, moins flic que politicien.
Bref, on peine à croire à leur collaboration professionnelle, qui est pourtant le moteur de l’enquête et le point clé de la descente aux enfers de Chartier.
Dans le dossier de presse de Maldoror, Fabrice Du Welz cite comme références Memories of murder de Bong Joon-ho et Zodiac de David Fincher. De belles sources d’inspiration dont il n’a hélas pas su tirer profit. Dans ces deux films, les auteurs réussissent parfaitement à retranscrire l’obsession grandissante des enquêteurs, leur frustration face aux fausses pistes, aux erreurs permettant aux tueurs de leur échapper. Surtout, ils parviennent à trouver le bon rythme pour faire ressentir au spectateur la longueur des investigations, le temps qui s’écoule inexorablement, laissant le loisir aux criminels de commettre de nouveaux forfaits ou de fuir pendant que l’enquête piétine. Dans Maldoror, on ne ressent pas vraiment ce passage du temps. On a l’impression d’un récit condensé en quelques jours plutôt que d’une traque de longue haleine. Pourtant, la durée du film est assez conséquente (2h35), mais l’enquête avance par des ellipses trop rapides et, sans repères temporels, on peine à ressentir la lenteur des investigations. Par ailleurs, le cinéaste fait parfois des choix narratifs étranges, en se focalisant sur des sous-intrigues inutiles (les retrouvailles entre Paul et sa mère – jouée par Béatrice Dalle – ou les relations du jeune flic avec une famille de gangsters de Charleroi) plutôt qu’en se plongeant dans les dysfonctionnements de la police belge.
Maldoror ne fait malheureusement pas le poids par rapport aux deux oeuvres précitées, pas plus qu’avec la récente mini-série télévisée Sambre, de Jean-Xavier de Lestrade, qui traitait d’une autre affaire criminelle retentissante, celle d’un homme ayant pu commettre des viols et des violences pendant trente ans entre la France et la Belgique avant d’être interpellé, et qui dénonçait aussi les dysfonctionnements des services de police et de justice ayant empêché une arrestation plus précoce.
Toujours dans le dossier de presse, Fabrice Du Welz dit s’être inspiré, pour la description des repaires de Dedieu et de ses complices dégénérés, de l’atmosphère de Massacre à la tronçonneuse de Tobe Hooper. Choix judicieux, car ce dernier est une référence dans le registre de l’ambiance malsaine et oppressante. Il est vrai que les différents décors filent la chair de poule, que ce soit la cave de Dedieu, bien cachée, l’espèce de casse automobile crasseuse où il se retrouvent, ou la fosse à cochons où sont jetés certains cadavres. Mais la façon de filmer, avec ses emballements soudains, le côté un peu brut des situations et le jeu outrancier de certains acteurs, évoquent plus Calvaire, le premier long-métrage de Du Welz, que le chef d’oeuvre de Hooper. Le bon côté des choses, c’est que Maldoror porte la patte singulière du cinéaste belge, auteur de longs-métrages aussi atypiques que Alléluia, curieux remake des Tueurs de la lune de miel, Adoration ou encore Inexorable, tous baignés dans une ambiance étrange, déroutante, et peuplés de personnages hauts en couleurs. Le mauvais côté des choses, c’est qu’on ne sait pas si, pour ce nouveau film, cette “marque de fabrique” est volontaire ou non. Au vu du projet, qui s’appuie sur des évènements réels, très bien documentés, on pencherait plutôt pour la seconde option. Dans ce cas, c’est malheureux…
Porteur de belles promesses liées à son sujet – terrifiant –, son casting, son titre énigmatique évoquant “Les Chants de Maldoror” du Comte de Lautréamont, et sa tentative de réaliser un film noir poisseux à souhait, Maldoror s’avère une amère déception. Il possède suffisamment de qualités pour que l’on supporte ses 155 mn, mais on s’attendait à plus d’intensité, plus de cohérence et de réalisme pour que le cinéaste belge puisse enfin franchir le palier artistique attendu depuis Vinyan. Ce ne sera pas pour cette fois…
Contrepoints critiques :
”What’s most curious is how the film’s title suggests a dark surrealism rather than the grimy, matter-of-fact procedural Maldoror ends up being. Of course, much like Lautreamont’s text collapses the narrator and protagonist to create unreliability, Chartier’s actions lead to a loss of control into vigilantism, wherein he also becomes a criminal in his dogged pursuit of justice, which represents a personal reflection of his abilities. Perhaps a bit more mainstream than might be expected from the distinctive human miseries usually employed by du Welz, Maldoror is an enjoyably meaty recuperation of an infamous scandal.”
(Nicholas Bell – IonCinema)
”Maldoror [est] une œuvre forte qui ne s’oublie pas facilement et qui bouleverse autant qu’elle dérange. Fabrice du Welz, en sa qualité d’auteur, prend des libertés fortes par rapport à la réalité, rappelant ainsi la fonction cathartique du film (à la manière d’un Once Upon a Time in Hollywood). Des libertés qui occasionneront probablement des débats, mais peut-être est-ce là ce dont nous avons le plus besoin face à de tels drames : parler.”
(Grégory Perez – Le Bleu du Miroir)
”Maldoror speaks on a very unnerving side of humanity, but it doesn’t go anywhere. Du Welz throws a lot of ideas at the wall, stretching an otherwise standard procedural into a bloated runtime that long overstays its welcome. Bajon is a unique talent and his performance skills are evident in this leading performance, although he does feel miscast in this overall forgettable true crime thriller.”
(Jeff Nelson – Guy at the movies)
Crédits photos : Images fournies par le service presse de La Biennale Cinema – copyright Sofie Gheysens