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De quoi ça parle ?

De Pearl(Mia Goth), une jeune fermière texane qui rêve de devenir danseuse de revue, comme les girls des Palace Follies, qu’elle admire.
Lorsqu’elle apprend qu’une troupe itinérante va très prochainement faire passer des auditions dans la petite ville voisine, elle y voit un signe du destin, une opportunité de montrer qui elle est vraiment.
Mais encore faut-il convaincre sa mère de lui laisser tenter sa chance. Or, Ruth (Tandi Wright), femme austère et sévère, aux préceptes religieux rigides, trouve que danser est moralement répréhensible et interdit à Pearl de s’y adonner en privé. Alors danser en public, dans un cabaret, n’y pensons même pas… Par ailleurs, elle refuse que Pearl s’attarde trop en ville pour d’autres choses que des achats essentiels. En pleine pandémie de grippe espagnole, c’est le meilleur moyen de ramener des germes à la maison.  Et en pleine Première Guerre Mondiale, alors que les migrants allemands ne sont pas vus d’un bon oeil, c’est risquer d’attirer l’attention sur toute la famille… Surtout, Maman n’est pas très encline à laisser sa fille quitter la ferme familiale. Depuis le départ de son gendre pour le front et l’attaque cérébrale qui a rendu son mari paraplégique, elle s’occupe seule de leurs terres et compte sur Pearl pour s’occuper des animaux.
Pearl, qui était sans doute déjà borderline, sombre brutalement dans la folie.

Pourquoi on trouve que le film est une vraie perle du genre ?

A vrai dire, cette projection en séance de minuit à la Mostra de Venise nous faisait un peu peur. Normal, nous direz-vous, c’est le but d’un film d’horreur. Mais notre peur était surtout de perdre du temps à regarder un épouvantable nanar. Déjà parce que les derniers films d’horreur projetés sur le Lido, pendant les éditions précédentes, sont loin de nous avoir laissé des souvenirs impérissables (Halloween kills, Wolf creek 2…). Ensuite parce que, si nous n’avons pas vu X, le film dont Pearl est la préquelle, nous avons vu d’autres films de Ti West qui ne nous ont pas fait très bonne impression (The Roost, The Sacrament…).
Et là, petit miracle, le film s’avère beaucoup mieux que prévu. Pearl est un film de genre assez classique au niveau de la montée en tension et des séquences horrifiques, mais qui affiche des ambitions esthétiques et artistiques assez surprenantes, ainsi qu’une performance d’actrice de tout premier ordre.

Le ton est donné dès la première séquence, celle du générique, où la jeune héroïne effectue quelques pas de danse devant la caméra. L’image est en technicolor, la police des textes est délicieusement rétro, évoquant l’âge d’or de Hollywood. Pearl voit son numéro interrompu par sa mère, qui lui rappelle sèchement ses obligations : s’occuper de son père paraplégique, puis aller nourrir les bêtes. La jeune femme s’exécute et va même un peu plus loin en nourrissant aussi le crocodile qui patauge dans la mare voisine (un clin d’oeil à Tobe Hooper et à son Crocodile de la mort), mais elle ne veut plus de cette vie de labeur, coupée du monde. Elle sait qu’elle pourrait devenir une vedette de music-hall si on lui donnait sa chance et, en attendant, elle alimente son rêve en s’accordant en cachette, lors de chaque passage en ville, une séance de cinéma. Elle ne se lasse pas de revoir son film préféré, “Palace Follies”, un ersatz des Siegfield Follies, très en vogue à cette époque-là.
La jeune femme rêve d’une tempête qui entraînerait tout sur son passage, emporterait la ferme, ses parents, les animaux ou qui la propulserait, elle, “de l’autre côté de l’arc en-ciel”, comme la Dorothy du Magicien d’Oz. Le cadre rural, la tenue de l’héroïne et les plans en technicolor font forcément penser au film de Victor Fleming (mais que Pearl n’a pas pu voir, puisqu’il date de 1939). La référence devient encore plus évidente quand, après une escapade au cinéma, où un beau projectionniste l’a abordée, elle croise en chemin un épouvantail avec qui elle “sympathise”. La différence, c’est que dans le roman de L. Frank Baum, Dorothy n’a, sauf erreur, jamais utilisé l’épouvantail comme un sextoy lui permettant d’évacuer ses pulsions sexuelles, ni découpé qui que ce soit à coups de hache…

Dans le rôle-titre, Mia Goth, également coscénariste du film, est absolument époustouflante. Elle incarne avec beaucoup de force cette anti-héroïne à la fois très inquiétante, quand prise d’accès de démence, et touchante, quand son rêve de brise au profit d’une autre fille plus jeune et plus blonde qu’elle.
L’actrice se révèle même bouleversante lors d’un long monologue de cinq minutes en plan fixe, lorsqu’elle raconte la vie difficile de son personnage et comment ses rêves se sont brisés sur les récifs d’une réalité déprimante, entre un mariage trop jeune, la guerre mondiale, une vie rurale sans perspective d’avenir.
On n’est plus vraiment dans un film d’horreur, à ce moment-là. La forme est digne d’un solide film d’art & essai. Le fond et l’enrobage esthétique lorgnent, eux, du côté du mélodrame flamboyant façon Douglas Sirk. C’est du bon cinéma, ambitieux et maîtrisé.
On se souviendra aussi du tout dernier plan, où Pearl est seule au centre de l’écran, essayan d’arborer un sourire et de le maintenir figé, alors que tout le reste de son visage et de son corps semble avoir envie de hurler et sangloter.

Ti West et Mia Goth ont réussi leur pari. Pearl est loin du simple film d’exploitation essayant de surfer sur le succès de X (est-il seulement un succès?). C’est un film d’horreur qui transcende le genre en réussissant la fusion parfaite avec le mélodrame et donne à l’actrice principale l’occasion de briller. C’est aussi un vibrant hommage au septième Art, porté par quelques séquences inspirées, à l’image de cette séquence en miroir, vers la fin du film, qui semble vouloir faire passer un test de Rorschach au spectateur. Voilà qui devrait ravir les cinéphiles, du moins ceux qui ne sont pas allergiques à l’hémoglobine!
La seule chose qui nous frustre, c’est que nous avons désormais très envie de découvrir X, qui rend hommage aux grands films d’horreur des années 1970, Massacre à la tronçonneuse en tête. Et on ne connaît pas sa date de sortie en France. Il faudra aussi attendre un peu pour découvrir le troisième volet de ce qui constituera donc une trilogie, le dernier opus devant probablement rendre hommage aux films d’horreur des années 1980…


Contrepoints critiques

“INTELIGENTE, VIOLENTA, DIVERTIDA Y PERVERSA. Así describen a Pearl que ya estrenó frente a los ojos de críticos y público especializado. Además, hay nuevo póster para celebrar su estreno”
(@zombyte_oficial sur Twitter)

”It promises to give viewers more insight about Pearl, but the execution is underwhelming & the film’s message muddled, uncertain of its message.”
(Mae Abdulbaki – Screenrant)

Crédits photos : Christopher Moss – Images fournies par La Biennale Cinema 2022

REVIEW OVERVIEW
Note :
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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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