[Giornate degli Autori]
De quoi ça parle ?
D’une… femme… monteuse-son… et responsable… des effets… sonores… pour une entreprise… de postproduction… qui se retrouve soudain… décalée par rapport… aux sons.
Oui, c’est pénible à lire, mais pour C. (Marta Nieto), c’est difficile à vivre, cette affaire… Au début, le décalage n’est que de quelques dixièmes de seconde. Insuffisant pour qu’elle en ait conscience, mais suffisant pour perturber son travail, où la synchronisation doit être parfaite. Ceci génère inéluctablement des tensions avec ses collègues et employeurs, puis une obligation de prendre des congés pour traiter ce mal étrange et handicapant. Hélas, plus les jours passent et plus le décalage augmente. Quand il atteint plus de 30 secondes de retard, cela devient très problématique. Déjà, C. ne peut plus soutenir une conversation avec les autres. D’un point de vue social, c’est ennuyeux… Et elle n’entend plus les sons qui pourraient l’alerter d’un danger imminent. Pour sa sécurité, c’est périlleux…
Le seul avantage, c’est qu’elle peut désormais entendre des conversations privées. Il lui suffit de rentrer dans une pièce quelques secondes après la discussion pour pouvoir entendre ce qui s’y disait quand elle n’y était pas. C’est pratique pour obtenir des informations confidentielles ou savoir ce que les gens pensent réellement de vous. Faible consolation par rapport aux inconvénients causés par la situation.
C. doit donc essayer de comprendre très vite la cause de ce mal curieux. Est-ce un coup de fatigue? Les conséquences d’une dépression suite à une situation personnelle compliquée? Autre chose? La clé se situe peut-être dans son passé. Il faut que C. puisse d’abord se délester des éléments encore mystérieux de ses origines, de son histoire pour pouvoir enfin vivre pleinement au présent et envisager un futur plus apaisé…
Pourquoi notre coeur bat à l’unisson pour ce film et son actrice principale?
L’idée de départ est profondément originale et, à notre connaissance, inédite. Elle pourrait permettre au récit de bifurquer dans plusieurs directions (thriller, fantastique, drame ou même comédie romantique…). Juanjo Giménez joue avec ce côté imprévisible et laisse longtemps ces possibilités ouvertes. Il laisse planer le mystère autour du mal dont souffre son héroïne, générant un certain malaise, une sorte de vertige. Cela lui permet d’embarquer le spectateur dans ce dispositif déroutant et de l’emmener jusqu’au bout de son histoire, jusqu’à un dénouement marquée par un joli rebondissement, très cohérent au vu de l’ensemble du récit.
Au-delà de ce problème de décalage entre l’image et le son, dont le cinéaste exploite au mieux toutes les possibilités, Tres (Out of sync) propose un joli portrait de femme. C. traverse une phase difficile, qui pourrait arriver à n’importe qui. Elle vient de se séparer de son compagnon, dont on apprendra plus tard qu’il attend un enfant d’une autre femme, est obligée de quitter l’appartement qu’elle occupait pour squatter le canapé de son studio d’enregistrement – avant d’être mise en congés forcés. Elle pourrait retourner vivre chez sa mère, mais leurs relations sont souvent heurtées…
C. vit assez mal son isolement et ce sentiment de passer constamment à côté de sa vie. Rien d’étonnant à ce qu’elle soit ainsi désynchronisée. Il suffirait peut-être d’un rien pour que tout redevienne comme avant. Une rencontre, la perspective d’une vie à deux, d’un amour sur la même longueur d’onde, pour une fois…
Le personnage bénéficie de la présence de Marta Nieto, impeccable dans la peau de ce personnage à la dérive. On avait découvert l’actrice espagnole sur le tard, dans le film Mother de Rodrigo Sorogoyen, pour lequel elle avait été primée à Venise en 2019 (Meilleure actrice de la section Orizzonti). Elle confirme ici qu’elle excelle dans ce genre de rôle complexe, où il faut exprimer les tourments intérieurs du personnage avec peu de mots. Si c’est l’idée scénaristique qui embarque le spectateur dans le film, c’est bien sa performance qui permet de suivre l’oeuvre jusqu’au bout et d’être en empathie avec le personnage principal. Elle s’impose en tout cas comme l’une des actrices espagnoles à suivre.
On suivra également la carrière de Juanjo Giménez, qui semble défendre un cinéma atypique, inventif et tout en nuances. L’homme a déjà plusieurs courts-métrages à son actif, dont Timecode, qui avait remporté la Palme du Meilleur Court-Métrage à Cannes en 2016, et un premier long-métrage, Tilt, qui avait reçu de bonnes critiques lors de sa présentation dans les festivals internationaux. Tres (Out of sync), confirme qu’il a un indéniable talent de conteur et un sens de la mise en scène affirmé.
Contrepoints critiques
”With her apparent fragility, it’s therefore Nieto who shoulders the burden of the sheer psychological depth of this proposition”
( Alfonso Rivera – Cineuropa)
”Juanjo Gimenez’s Out of sync is a masterclass in sound design. I doubt anything can top that this year. What I did not expect was how emotionally invested I got. It takes an intriguing concept and takes it in all sorts of directions you might not expect”
(@reelandroll sur Twitter)
Crédits photos : copyright Álvaro Mascarell – photos fournies par La Biennale Cinema