[Orizzonti – Séances spéciales]
De quoi ça parle ?
De Jaakko (Petri Poikolainen), un quadragénaire solitaire dont la seule personne qui arrive encore à lui procurer un peu de joie est Sirpa (Marjaana Maijala), une femme avec qui il a entamé une relation en ligne via un site de rencontre, mais qu’il n’a pas encore rencontré physiquement.
Quand il apprend que la santé de Sirpa se dégrade, Jaakko décide sur un coup de tête d’aller la rencontrer pour la première fois. Elle ne vit pas si loin, à deux heures de train, mais c’est pour lui une expédition compliquée à mener seul. Jaakko est en effet atteint de sclérose en plaques, une maladie qui l’a rendu paralysé jusqu’au tronc, donc mobile uniquement à l’aide d’un fauteuil roulant, et complètement aveugle.
Pourquoi c’est visiblement un bon film?
Parce que le cinéaste, Teemu Nikki, assume d’un bout à l’autre son parti pris radical de laisser sa caméra constamment centré sur le visage de Jaakko. On ne voit que le personnage échanger avec son entourage, soit directement, soit par téléphone. Tous les éléments autour de lui sont flous. Ainsi, le spectateur est mis dans une situation presque aussi inconfortable que celle du protagoniste. Il est impossible de se raccrocher à autre chose qu’à Jaakko, avec qui l’identification est naturelle et déjà source d’angoisse. L’homme est frappé d’une maladie dégénérative qui le condamne à plus ou moins brève échéance, et qui ne peut que nous toucher en tant qu’humains, mais aussi par ce qui est l’une des pires craintes d’un cinéphile, la perte de la vue.
Jaakko est dans une situation de dépendance extrême et quand il doit faire confiance à des inconnus pour aller d’un point A à un point B, on ne peut s’empêcher de penser au pire. À raison, car durant son parcours, plusieurs incidents vont nous montrer à quel point il est vulnérable. Le cinéaste fait lentement monter la tension autour de lui. L’angoisse commence à s’installer dès que Jaakko quitte son domicile. Il a beau essayer de dédramatiser avec son humour référentiel, appelant son chauffeur de taxi Travis Bickles comme il a rebaptisé son aide à domicile Annie Wilkes, l’héroïne de Misery, rien ne dit qu’il ne soit pas tombé sur un usurpateur, un chauffeur de taxi psychopathe ou un tortionnaire de la pire espèce. En gare, il est confronté à une tentative de vol à l’arraché qui se solde par un échec, puis rencontre un type étrange dans le train, qui semble ne pas vraiment apprécier son sens de l’humour. On sent qu’un rien pourrait transformer son voyage en cauchemar. La perte ou le vol de son téléphone le mettrait en grande difficulté. Une mauvaise rencontre aurait des conséquences funestes, et les ombres des personnages que l’on perçoit autour de Jaakko, sans les distinguer clairement, ne sont pas rassurantes.
Dommage que cette belle mécanique s’enraye un peu en fin de film, avec une intrigue qui traîne un peu trop en longueur et des situations moins anxiogènes. Mais globalement, cela fonctionne plutôt bien, et ce n’était pas gagné d’avance. En effet, il fallait oser faire tenir un film entier sur la performance d’un acteur inconnu et sur une menace invisible. C’est sans doute pour cela que peu de thrillers exploitent la cécité comme moteur dramatique. Les rares auxquels on pense sont Seule dans la nuit ou Jennifer 8, des titres que n’aurait pas reniés Jaakko, grand amateur de séries B. Pour le reste, c’est assez rare…
Ce qui permet au film de tenir la route, c’est l’humour du personnage, qui traverse ce périple plein de dangers avec un calme assez impressionnant. La certitude de voir sa santé décliner inexorablement aide sans doute Jaakko à relativiser. Débarrassé de la peur de mourir, il prend les choses avec détachement. Face aux deux types patibulaires qui essaient de le racketter, il s’imagine avoir affaire aux deux pieds-nickelés de Fargo. Ainsi, il les prend moins au sérieux et peut essayer de les amadouer avec ses seules armes, la pitié que son état peut inspirer et son sens de la répartie.
À ce petit jeu, Petri Poikolainen se montre très efficace. Certes, il connaît bien le problème puisqu’il souffre des mêmes maux que son personnage, mais il porte le film de bout en bout, sans jamais faiblir et fait de son personnage handicapé une sorte de héros des temps modernes, courageux et chevaleresque. Un Snake Plissken avec un bandeau à chaque oeil, ou un easy rider en fauteuil. On ne sait pas si lui aussi a réussi l’exploit de ne jamais regarder Titanic, mais il donne ici une belle leçon de vie et de jeu d’acteur, que l’on ne peut que saluer.
Séduits par ce personnage atypique et son acteur qui l’est tout autant, ainsi que par la forme radicale de ce drôle de thriller, les spectateurs de la 78ème Mostra de Venise ont choisi de lui attribuer le prix du public Armani Beauty. Bien vu!
Contrepoints critiques
“#TheBlindManWhoDidNotWantToSeeTitanic è la vera sorpresa della mia #Venezia78. Un racconto sincero e pieno di grazia (anche tecnica) con un protagonista nerd e cinefilo che si ama. Wow!”
(““#TheBlindManWhoDidNotWantToSeeTitanic est la grande surprise de ma 78ème Mostra de Venise. Un récit sincère et plein de grâce (y compris technique), avec un personnage nerd et cinéphile comme on les aime. Wow!”)
(Lisa Costa – @incentralperk sur Twitter)
”it is hard not to fall in love with both Poikolainen’s character and performance, almost literally carrying the film on his shoulders”
(Nicolo Grasso – ClapperLtd)
Crédits photos : copyright It’s alive films