De quoi ça parle ?
D’une histoire d’amour impossible entre deux femmes dans l’Amérique rurale du XIXème siècle.
Abigail (Katherine Waterston) est mariée à Dyer (Casey Affleck). Ils s’occupent ensemble de leur ferme, dans un coin perdu de l’Amérique, au climat glacial en hiver et caniculaire en été. Il n’y a jamais eu de passion dans leur union, mais la naissance de leur fille leur avait permis de se construire un avenir commun. Le décès de la fillette, emportée par la diphtérie, a définitivement scellé leur relation. Abigail et Dyer continuent de cohabiter mécaniquement, en effectuant leurs tâches quotidiennes, chacun de leur côté.
L’arrivée de nouveaux voisins, Finney (Christopher Abbott) et Tallie (Vanessa Kirby) constitue une bouffée d’oxygène inattendue. Très vite, Abigail se rapproche de Tallie. Pour la première fois de sa vie, elle a quelqu’un à qui se confier, une amie proche qui peut la comprendre et la soutenir. Il en va de même pour Tallie, elle aussi coincée dans un mariage sans amour et une vie frustrante. Les deux femmes se voient de plus en plus souvent et réalisent que leur attirance mutuelle dépasse le cadre purement amical. Mais une telle relation, dans le contexte de l’époque et le cadre d’une communauté puritaine et patriarcale, est une monstruosité, une aberration. Comment vivre cette passion au grand jour? Comment échapper à des maris qui, peu à peu conscients de la situation, n’ont pas l’intention de les laisser ainsi les ridiculiser?
Pourquoi le film nous a émus, mais pas totalement emportés
Parce que le film a les défauts de ses qualités.
Le choix de raconter The world to come avec beaucoup de retenue et de pudeur, sans pathos, est à mettre au crédit de Mona Fastvold et de ses scénaristes, Ron Hansen et Jim Shepard – également auteur de la nouvelle dont le film est tiré (1). C’est effectivement le meilleur moyen de porter le sentiment amoureux à l’écran, surtout quand il s’agit de raconter une histoire d’amour contrariée, mise sous l’étouffoir d’un lieu, d’une époque et de ses conventions. On avait pu s’en apercevoir dans des films comme Brève rencontre, The End of an affair, The Deep blue sea ou, plus récemment, Carol, avec la présidente du jury de la 77ème Mostra, Cate Blanchett.
L’idée, ici, est de montrer surtout ce qui rend la vie d’Abigail insatisfaisante – les tâches quotidiennes répétitives, le froid qui engourdit les corps et éteint les âmes, la cohabitation avec un mari taiseux et indifférent – et de filmer tout ceci avec une esthétique terne, où les images sont presque totalement désaturées, un rythme lancinant, porté par une musique répétitive et déprimante. Les brefs moments qu’elle passe avec Tallie sont au contraire des moments lumineux et colorés. Les cadres semblent s’élargir, la caméra se fait plus mobile pour un bref moment de liberté.
Au niveau de la mise en scène, The world to come est assez irréprochable, d’autant que le film offre beaucoup d’espace aux deux actrices principales, Katherine Waterston, qui trouve ici l’un de ses plus beaux rôles, et Vanessa Kirby, qui montre, deux jours après la projection de Pieces of a woman, toute l’étendue de son talent.
En revanche, cette approche feutrée, minimaliste, est un peu trop jusqu’au-boutiste. Le film reste trop sec, trop froid, trop austère pour nous emporter complètement, en même temps que ses personnages. On avait déjà éprouvé la même sensation pour L’Enfance d’un chef et Vox Lux, les films de Brady Corbet, dont Mona Fastvold était la co-scénariste. Mais ceci n’était pas vraiment gênant au vu de la thématique de ces deux films, assez glaçants. Certes, c’est encore le cas ici, le film étant au final résolument sombre et sans espoir. Mais ici, le parti-pris empêche de s’attacher totalement aux deux personnages, de ressentir la passion qui les unit. Comme tout le film est mené sur le même tempo déprimant, avec la même petite musique triste, on reste un peu trop en retrait. Il ne manque pas grand chose, juste une petite étincelle. On ne s’attendait pas à des moments de passion intense comme dans La Leçon de piano de Jane Campion ou des scènes de sexe débridées comme dans La Vie d’Adèle, mais la cinéaste aurait gagné à s’affranchir, le temps d’une scène ou deux, de son esthétique verrouillée et son parti-pris radical, ce que Céline Sciamma a su faire dans son remarquable Portrait de la jeune fille en feu.
(1) : « The world to come » de Jim Shepard – éd. Penguin Random House
(pas de traduction française à date)
Prix potentiels?
Un prix de la mise en scène, malgré les réserves évoquées plus haut, ou un double prix d’interprétation pour les actrices – ou juste pour Vanessa Kirby, qui cumule cette année deux performances de haut-vol.
Et peut-être mieux, car il est probable que Cate Blanchett, interprète de Carol dans le film de Todd Haynes, a été touchée par cette histoire d’amour entre femmes.
Autre avis sur le film
”IL FILM “
(“LE FILM”)
(@BarbaraBelzini sur Twitter)
”Film convenzionale e prevedibile. Nessun rischio.”
(“Film conventionnel et prévisible. Aucun risque.”)
(@FataMorganaWeb sur Twitter)
“A Lyrical Exploration of Female Desire in 19th-Century America A superb quartet of actors bring intense feeling to Mona Fastvold’s simple, stirring sophomore”
(Guy Lodge, Variety)
Crédits photos : Official stills – fournies par la Bienale di Venezia