De quoi ça parle?
Des peuples du Moyen-Orient, en Syrie, en Iraq, au Liban ou au Kurdistan, qui semblent perpétuellement devoir vivre dans la peur, la souffrance, le deuil et l’exil.
Pourquoi le film nous laisse un sentiment mitigé ?
Gianfranco Rosi a un style bien à lui. Ses films sont généralement étiquetés comme des documentaires parce qu’il aborde des problèmes bien réels et toujours d’une actualité brûlante, comme les problèmes d’urbanisme de la région romaine (Sacro GRA), l’arrivée massive de migrants africains sur l’île de Lampedusa (Fuocoamare), mais ils n’ont rien de reportages traditionnels. Ce sont des puzzles visuels et sonores à reconstituer, des expériences qui permettent de ressentir les choses et les comprendre à travers la poésie de la mise en scène.
C’est encore le cas ici. Si le cinéaste italien a posé ses caméras dans ces pays, c’était avant tout pour parler des conflits ethniques, religieux et territoriaux qui opposent tous les anciens peuples de l’Empire Ottoman, de traiter du cercle vicieux de la haine et de la violence qui dévaste cette zone du monde depuis près d’un siècle. Mais il ne montre à aucun moment de scènes de guerre. Juste des soldats et des victimes.
Le début du film est emblématique de sa démarche. Un plan fixe montre un groupe de soldats en plein entraînement, marchant en troupe à pas cadencé. Alors qu’on les voit continuer leur route, une seconde troupe, quasi identique, effectue la même manoeuvre, puis une troisième, une quatrième,… La scène suivante montre une procession de femmes, mères en deuil venant honorer la mémoire de leurs films, morts torturés dans une prison. Au bruit des pas cadencés et des cris de ralliement, le cinéaste oppose les sanglots et les lamentations de ces femmes meurtries. Puis il filme deux scènes de nuit. Un chasseur parcourt en silence une sorte de no man’s land. Au loin, on entend des bruits de fusils-mitrailleurs, probablement pas destinés à tirer sur des canards sauvages. Un couple profite de la nuit sur une terrasse. Au bruit des fusils s’oppose celui du gargouillement d’un narguilé…
Le cinéaste cherche à montrer que, même dans ce contexte troublé, dans cet univers plombé par la douleur et la peur, la vie continue et l’être humain montre tout ce qui fait sa grandeur.
L’idée était plutôt noble, mais curieusement, cette fois-ci la belle mécanique ne fonctionne pas totalement. Le dispositif s’essouffle assez rapidement, peut-être car les séquences sont un peu trop répétitives et que l’on peine parfois à les remettre dans le contexte.
Il y a évidemment quelques scènes très fortes. Par exemple celle où l’horreur de la guerre et des massacres commis par l’Etat Islamique transparaissent dans des dessins d’enfants qui seront sûrement traumatisés à vie par les atrocités auxquelles ils ont assistées. Ou celle où les soldats de Daesh sont parqués comme du bétail dans des prisons surpeuplées, qui contribuent à entretenir le cycle de la haine et de la violence. Le cinéaste cherche ainsi à démontrer que tous les habitants de cette région du monde sont des victimes, même les combattants de Daesh, qui ont, pour la plupart, pris les armes pour lutter contre des tyrans locaux. La faute est à jeter sur ceux qui ont arbitrairement découpé les territoires de l’ancien Empire Ottoman en entités distinctes, au mépris des peuples qui les habitaient, provoquant tensions communautaires et religieuses.
Le problème, c’est que tout ceci, Rosi ne prend pas le temps de l’expliquer, à l’exception d’un intertitre minimaliste au tout début du film. En fait, il n’explique rien. On ne sait jamais vraiment d’où viennent les personnes qu’il filme, ce qu’ils représentent, ce qu’ils ont vécu. C’est le choix du cinéaste, qui entend ainsi abolir ces frontières artificielles et filmer des individus représentatifs d’un ensemble, pour faire de ce récit quelque chose d’universel. Pari raté, car ce faisant, il prive ces individus de leur histoire personnelle, de ce qui les distingue des autres. En voulant leur faire porter la charge de représenter l’ensemble du genre humain, il les prive d’une partie d’eux-mêmes qui, justement, constitue leur humanité.
Pour une fois, le cinéaste aurait dû miser sur un documentaire à hauteur d’homme plutôt que de conserver son approche poétique et symbolique. Il aurait aussi gagné à libérer la parole des personnes qu’il filme, pour faire de leur témoignages le ciment de son oeuvre.
Notturno reste un long-métrage intéressant et cohérent avec la filmographie de son auteur, mais malheureusement, il ne procure que très peu d’émotion et ne délivre qu’un message assez convenu sur la situation au Moyen-Orient.
Prix potentiels?
Visiblement, le film divise. Ce qui signifie qu’il a aussi de vibrants défenseurs. Tout est possible quant à sa présence au palmarès.
Mais Rosi a déjà eu le Lion d’Or pour un film autrement plus intéressant et abouti. A notre sens, d’autres oeuvres méritent davantage d’être récompensées.
Autres avis sur le film
“The film’s qualities are clear as day.”
(Ben Croll, Inbeautymoon)
”un’occasione mancata”
(“Une occasion manquée”)
(Arturo Garavaglia – Ciakclub)