[Hors compétition, film d’ouverture]
De quoi ça parle?
Des aléas de la vie de couple et de leurs répercussions sur les enfants, mais aussi des apparences, parfois trompeuses, des non-dits aux conséquences fâcheuses et des liens qui unissent les membres d’une famille, même s’ils peuvent parfois être quelque peu emmêlés.
Lacci est l’adaptation du roman de Domenico Starnone , “Les liens” (1), qui raconte en trois temps trente ans de vie de famille tumultueuse.
A Naples, dans les années 1980, Aldo (Luigi Lo Cascio) annonce à son épouse Vanda (Alba Rohrwacher) qu’il a eu une liaison avec une de ses collègues de travail. Furieuse et blessée par cette révélation, elle le met à la porte du domicile familial. Quelques jours plus tard, quand elle prie Aldo de revenir, pour le bien de leurs deux enfants, l’homme semble avoir tourné la page de sa vie de famille et être désormais tenté de démarrer une nouvelle vie à Rome, avec la nouvelle femme de sa vie (Giovanna Mezzogiorno).
S’il consent encore à voir ses enfants, ses relations avec son épouse se dégradent et l’incitent à rester toujours plus à distance, jusqu’au point de non-retour.
Pourtant, trente ans après, on découvre que Vanda (Laura Morante) et Aldo (Silvio Orlando) forment à nouveau un couple. Leurs enfants ont quitté le domicile familial depuis longtemps, mais le couple a tenu bon. Mais un incident imprévu vient à nouveau réveiller les vieilles blessures et lézarder cette façade de bonheur conjugal.
Est-ce qu’on se sent lié à ce film ?
Oui, parce qu’il s’agit d’un film joliment réalisé, porté par une mise en scène sobre et des acteurs presque tous impeccables (la transformation de Luigi Lo Cascio en Silvio Orlando n’est pas évidente, et ce-dernier flirte parfois avec le cabotinage). Surtout, il bénéficie d’un scénario bien ficelé, qui revisite certains éléments de l’histoire familiale alternativement par les yeux de la mère, du père et des deux enfants, sautant du passé au présent à l’aide d’ellipses et de flashbacks.
Au-delà de sa structure narrative qui recèle quelques surprises, le long-métrage, comme le roman dont il est tiré, interroge sur ce qui lie un couple et cimente une famille. L’amour? Pas vraiment, même s’il est clair qu’il y a eu de l’amour entre Aldo et Vanda et que subsistera toujours une forme d’affection. En tout cas, au moment où le film démarre, la passion a déjà disparu, érodée par le quotidien, la routine de la vie de famille, les divergences concernant l’éducation des enfants ou la tenue du foyer. L’aveu de la liaison d’Aldo avec une femme plus jeune et plus belle que Vanda scelle définitivement la question de l’amour au sein de leur couple. Mais ils ont mis des années à construire leur vie, ont grandi ensemble, ont eu des enfants. Ils ont partagé des joies, des peines et des épreuves. Cela a créé une complicité unique, moins forte, moins intense que la passion amoureuse, mais autrement plus endurante.
Pourtant, dans la seconde partie, il est clair que le cocon familiale ressemble plus à une cage dorée qu’à un paradis. Si le vieux couple continue de coexister à peu près pacifiquement, cimenté par les années de vie commune, on sent qu’il ne faudrait pas grand chose pour tout faire éclater. Les vieilles rancoeurs sont toujours là, comme le poids de la trahison d’Aldo et son retour au bercail à contrecoeur. Il y a de part et d’autre les regrets de n’avoir pas osé une autre vie, un autre parcours.
Cette histoire de couple en pleine déliquescence et de rêves brisés n’est pas vraiment nouvelle, mais elle se rapproche plus, par sa tonalité douce-amère et sa structure éclatée, d’oeuvres comme 5×2 de François Ozon ou Les Noces rebelles de Sam Mendès – toutes proportions gardées, bien sûr – que de certains mélodrames balourds comme peuvent parfois en proposer les cinéastes italiens. Ici, il ne convient pas de sortir ses mouchoirs, mais de ressentir un certain malaise face à ce couple en crise, un certain vertige existentiel.
Le spectateur est amené à se poser les mêmes questions qu’Aldo, Vanda et leurs enfants : vaut-il mieux vivre une vie rangée, sécurisante par son côté routinier, mais faite de compromis, quitte à étouffer ses sentiments et ses rêves, ou privilégier la liberté, l’amour sans attaches, la passion, en renonçant à sa vie d’avant? Le cinéaste, évidemment, refuse de répondre directement à cette question pour ses personnages, laissant chaque spectateur libre de s’en emparer en fonction de son propre vécu, ses propres expériences.
Le seul bémol, c’est que la seconde partie est moins bien développée que les deux autres, peut-être parce qu’elle se retrouve écartelée entre deux temporalités et deux acteurs trop différents. Peut-être aussi parce que Daniele Luchetti manque encore du petit quelque chose qui transforme un honnête réalisateur en grand cinéaste. Pour autant, ce film trouve bien sa place dans sa filmographie, car le cinéaste italien s’est souvent intéressé à la thématique des liens familiaux, liens fraternels perturbés par la politique et l’Histoire (Mon frère est fils unique), liens entre un père et ses enfants essayant de surmonter un deuil douloureux (La Nostra vita), liens d’un couple en crise (Ton absence)… Il porte aussi indéniablement sa “patte” esthétique, qui lui permet, en quelques plans, de nous faire entrer dans son récit et créer une ambiance, sans esbrouffe ou recours à des effets appuyés.
Certains trouveront ça insuffisant pour un festival comme la Mostra de Venise, mais franchement, on a vu bien pire certaines années, surtout du côté des cinéastes transalpins…
(1) : “Les Liens” de Domenico Stranone – éd. Fayard
Crédits photos : Gianni Fiorito