De quoi ça parle?
Du massacre de Novocherkassk, le 2 juin 1962, sanglante répression d’un mouvement de grève des travailleurs de la ville par l’Armée Rouge, et de la façon dont l’affaire a été étouffée par les autorités Russes. Ce drame qui a fait officiellement 26 morts et 86 blessés, auxquels il faut ajouter les manifestants condamnés à la peine capitale et ceux condamnés aux goulags sibériens. Il faudra attendre trente ans et la chute de l’URSS, pour que ce massacre soit enfin rendu public.
Pourquoi on soutient le mouvement?
Parce qu’Andrei Konchalovsky a la bonne idée d’adopter le point de vue d’une femme, Lyudmila, qui est membre du bureau local du Parti Communiste et est une fervente partisane du régime en place. Elle a toujours soutenu les idéaux communistes et combattu toutes les formes de dissidence. Quand le parti annonce la hausse du prix du lait, elle se dit que tout cela est pour la bonne cause, que le peuple verra bientôt les bénéfices de cette politique.
Aussi, quand des travailleurs se mettent en grève à l’usine de locomotives locale pour protester contre l’augmentation du coût de la vie, elle se range à l’avis officiel du parti. Cette grève doit cesser et leurs leaders doivent rentrer rapidement dans le rang. C’est ce qu’elle exprime lors d’une réunion du bureau. Les autorités sont prévenues et suivent à la lettre ses recommandations. Mais au lieu de mettre fin pacifiquement à la manifestation populaire, l’armée fait feu sur la foule, occasionnant des scènes de panique partout dans la ville.
Lyudmila est secouée par ce drame dont elle se sent responsable. Elle culpabilise d’autant plus que sa fille, une adolescente rebelle, n’est pas rentrée à la maison. A-t-elle participé aux manifestations? Et si oui, où est-elle maintenant?
Partant à la recherche de sa fille sur les lieux du drame, la militante découvre l’ampleur du massacre. Elle est témoin de toutes les basses manoeuvres du pouvoir pour étouffer l’affaire, susceptible d’inciter le peuple à une révolte plus massive contre le régime de Khroutchev. Le massacre est classé en “secret défense”. La ville est placée sous couvre-feu militaire, avec interdiction d’y entrer ou d’en sortir, tant que les témoins n’auront pas été tous contraints au silence. Comme les autres habitants, Lyudmila a l’obligation de signer un engagement de confidentialité. Révéler les détails de l’incident l’exposerait à une lourde peine.
Les cadavres des victimes sont enterrés en secret dans des fosses communes, dans des localités voisines, comme s’ils n’avaient jamais existés. Lyudmila est horrifiée par ce que ses “camarades” mettent en place et de plus en plus désabusée par ce qu’il reste du grand rêve communiste. Depuis la mort de Staline, les cadres du parti se déchirent, crachent sur l’héritage du “Petit Père des peuples”. L’économie part à vau-l’eau et la corruption s’installe de plus en plus. L’armée et le KGB ne coopèrent pas, ce qui explique en partie pourquoi l’évacuation des grévistes a dégénéré. Pour la première fois de sa vie de militante, elle ne croit plus au projet soviétique. Ses idéaux ont été trahis, piétinés, assassinés. Elle erre comme une âme-en-peine dans cette ville sous étouffoir, regrettant la “glorieuse époque stalinienne”.
Evidemment, Lyudmilla ignore – ou refuse de croire – que ce type de répression sanglante existait aussi pendant le règne de Staline, et même à grande échelle. Les “incidents” étaient étouffés de la même manière. Elle ne peut donc avoir le recul historique nécessaire pour juger les hommes et leurs actes. C’est pour cela que les dictateurs font tout pour dissimuler leurs crimes aux peuples qu’ils asservissent, et cela explique pourquoi le massacre de Novocherkassk a été tenu secret aussi longtemps. C’est aussi pour cela que le cinéma est utile. Il permet d’ouvrir les yeux des spectateurs, informer sur les erreurs du passé pour éviter des drames similaires dans le futur, et donner les clés pour comprendre un contexte historique donné.
Si Andrei Konchalovsky ne réussit pas totalement à retrouver l’intensité de son chef d’oeuvre, Paradis, il signe malgré tout un sublime film historique, porté par une mise en scène maîtrisée, le choix d’une image en noir & blanc et format carré rappelant les films soviétiques de cette époque et la performance de Julia Visotskaya, magnifique en femme perdue, qui voit ses rêves brisés, ses idéaux trahis et son avenir hautement compromis.
Prix potentiels?
Andreï Konchalovsky est un habitué du palmarès vénitien, avec un Grand Prix en 2002 pour La Maison des fous, et deux Lions d’Argent de Meilleur Réalisateur en 2012, pour Les Nuits blanches du facteur et en 2014 pour Paradis. Il pourrait encore figurer à celui de la 77ème édition.
Jamais deux sans trois pour le prix de la mise en scène? Ou bien décrochera-t-il enfin le Lion d’Or tant convoité?
Julia Visotskaya est un outsider solide pour le prix d’interprétation féminine.
Autre avis sur le film
”Konchalovsky fa Cinema. LectioMagistralis su come si scrive,si gira e si monta un film.”
(“Konchalovsly fait du Cinéma. Une leçon magistrale sur comment écrire, tourner et monter un film”)
(@DavidePassero sur Twitter)
”How do you commemorate a shameful history long suppressed? One way is to render it in black and white images so stark there’s nowhere for the shame to hide, a feat achieved with stunning clarity by Andrei Konchalovsky’s perversely beautiful and coldly furious “Dear Comrades!”
(Jessica Kiang – Variety)
Crédit photos : Official stills/Fournies par la Biennale di Venezia