Après avoir rendu hommage aux plus belles années de la comédie musicale hollywoodienne avec La La Land, Damien Chazelle nous entraîne dans une autre “âge d’or” emblématique du rêve américain, celui de la conquête spatiale et des premières missions destinées à envoyer l’homme sur la Lune.
First man relate en effet huit années de la vie de Neil Armstrong, de 1961, quand il était pilote d’essai pour un centre de recherche aéronautique, jusqu’à son heure de gloire, en tant que premier homme à marcher sur la Lune.
En 1961, Armstrong est reconnu par ses collègues comme étant un ingénieur brillant, mais également un pilote un peu trop téméraire, car il a été impliqué dans plusieurs incidents de vol. La scène inaugurale du film, haletante, en donne un bon exemple. Armstrong pousse son avion un peu trop haut, à la frontière entre l’atmosphère terrestre et l’espace. Pendant de longues secondes, il semble incapable de retrouver une trajectoire acceptable, avant d’arriver à modifier sa trajectoire et arriver à bon port. C’est l’incident de trop pour ses supérieurs, qui décident de ne plus le laisser piloter. Comme le pilote doit également faire face à la grave maladie dont est frappée sa petite fille, Karen, ils estiment qu’il n’est pas assez concentré pour piloter un avion.
Qu’à cela ne tienne! Puisqu’on le juge trop “dans la lune” pour voler, Neil Armstrong décide de postuler pour le nouveau programme de recrutement de la NASA, destiné à faire voler des hommes jusqu’à… la Lune.
Son sang-froid, ses compétences techniques et sa façon d’appréhender les risques séduisent Deke Slayton, en charge des programmes Gemini et Apollo. Armstrong se retrouve impliqué dans cette belle épopée et, au gré des progrès et des échecs du groupe, parfois coûteux en vies humaines, il est finalement désigné comme leader de la fameuse expédition Apollo XI, qui va devenir l’un des évènements les plus importants du vingtième siècle.
Si le film avait été réalisé par un cinéaste lambda hollywoodien, le film n’aurait été qu’un biopic sans âme, lisse et hagiographique. Mais Damien Chazelle semble avoir des ambitions artistiques autrement plus élevées. Auréolé des succès de ses films précédents, le jeune cinéaste entend continuer à développer ses propres thématiques, et suivre sa propre voie
Il préfère s’attacher plus à la petite histoire qu’à la grande, au parcours intime plutôt qu’à l’aventure épique, à Neil Armstrong, l’homme, plutôt qu’au héros américain, la figure emblématique et charismatique. Ce qui l’intéresse, ce sont ses blessures, ses fêlures, son obsession et le prix à payer pour sa vie de couple et de famille. En somme, la face cachée du personnage, homme dévasté par la perte de sa fille, incapable d’extérioriser son chagrin et ayant transformé sa douleur en obsession pour la conquête lunaire.
De ce fait, First man n’est plus vraiment un récit de conquête spatiale, mais une histoire de deuil à accomplir, un voyage personnel douloureux vers la lumière qui relègue au second plan la grande aventure collective de la conquête spatiale.
Cela se ressent dans le rythme, parfois assez lent, et dans l’ambiance globale du film, sombre et funèbre. La mise en scène accentue cette sensation. L’activité professionnelle d’Armstrong est dépeinte avec des mouvements de caméra assez remuants, des images tremblantes, instables, comme si le personnage était au bord de l’explosion. Et les annonces de décès viennent régulièrement rappeler que la conquête spatiale a été coûteuse, non seulement financièrement, mais également en termes de vies humaines. Les moments de vie familiale, censés être plus apaisés, sont tout aussi étouffants et crépusculaires. Chazelle les filme en plans fixes ou dans des cadres oppressants, enfermant le personnage dans son obsession, symbolisée par de nombreux éléments picturaux (lumières, objets circulaires, taches lumineuses…).
Certains lui reprocheront probablement ces partis-pris de mise en scène, en rupture avec les codes du biopic hollywoodien ou des films dépeignant des évènements historiques majeurs. Tout comme d’aucuns fustigeront le manque d’émotion qui semble se dégager de l’ensemble. Effectivement, malgré quelques effets mélodramatiques un peu faciles (grandes envolées musicales signées Justin Hurwitz, plans sur les regards humides de Ryan Gosling et Claire Foy, tous deux excellents…), le jeune cinéaste refuse de verser dans le pathos, l’émotion gratuite. Le spectateur finira par être touché par l’épopée intime du personnage, mais cela se fera progressivement, petits pas par petits pas. C’est justement ces choix singuliers qui font de Damien Chazelle un auteur à part entière, proposant un cinéma atypique et développant ses propres thématiques.
L’une d’entre elles se dégage clairement, après ses trois longs-métrages : les efforts à accomplir pour atteindre ses objectifs et les sacrifices à faire pour réaliser ses rêves. Whiplash décrivait le parcours d’un apprenti batteur de jazz qui, bien que martyrisé par un professeur tyrannique, s’accrochait par passion pour la musique. La La Land dépeignait un couple déchiré entre sa vie amoureuse et ses ambitions artistiques. Ici, Chazelle montre un Neil Armstrong nourrissant une véritable obsession pour son aventure spatiale, oubliant au passage de s’occuper de sa compagne et de ses enfants, qui ont gardé, eux, les pieds sur terre. Ce n’est que lorsqu’il pourra enfin atteindre son objectif, prenant le plus de recul possible, qu’il pourra réaliser ce qui compte vraiment pour lui. Sans doute un peu trop tard pour sauver son couple, qui a explosé en plein vol – même si l’astronaute et son épouse ne divorceront que plusieurs années plus tard.
Sans posséder la virtuosité et le peps de La La Land, First man confirme tout le bien que l’on pensait de Damien Chazelle, cinéaste inspiré doublé d’un solide directeur d’acteurs. C’est un petit pas pour le 7ème art, mais un un grand pas pour la carrière du jeune réalisateur.