Premier ContactQuand Denis Villeneuve décide de réaliser un film de science-fiction, on se doute que le résultat va être à des années-lumières d’un Indépendance Days ou des blockbusters américains du même calibre.
Le point de départ de Premier Contact (Arrival) est bien une rencontre du troisième type, l’arrivée sur Terre, d’une flottille de vaisseaux extra-terrestres et leurs occupants, les heptapodes sortes de pieuvres géantes, évoquant autant des monstres Lovecraftiens que la monumentale sculpture arachnéenne de Louise Bourgeois, et le premier contact avec une unité spéciale, composée de militaires et de scientifiques. Cependant, la tonalité mélancolique du film, le rythme contemplatif, l’environnement esthétique épuré et l’absence d’effets spéciaux spectaculaires en font la parfaite antithèse de ce que propose généralement, sur cette trame, le cinéma hollywoodien.

Denis Villeneuve s’intéresse moins aux aliens qu’à son personnage principal, Louise (Amy Adams), une professeure universitaire hantée par la mort de sa fille unique, terrassée dans la fleur de l’âge par une maladie incurable. Quand les “soucoupes volantes” (en fait, une structure ovoïde qui rappelle un peu le monolithe de 2001, l’Odyssée de l’espace) se posent sur notre planète, Louise est enrôlée par l’armée qui aimerait qu’elle mette à profit son expertise en matière de linguistique pour tenter de décrypter le langage des extra-terrestres et être en mesure de comprendre leurs intentions. Le temps presse puisque certaines puissances mondiales sont d’avis d’attaquer avant que les envahisseurs ne se montrent hostiles.
Secondée par un mathématicien (Jeremy Renner) et un colonel de l’armée américaine (Forest Whitaker), Louise ne tarde pas à faire des découvertes décisives concernant la façon de communiquer des heptapodes et est bientôt en mesure de dialoguer avec eux. Mais plus elle progresse, plus elle est perturbée par des visions, fragments d’existence partagés avec sa fille disparue.

Plus qu’un banal film de science-fiction, Arrival est une sorte d’aventure intérieure, la projection de l’état mental d’un personnage. Comme tous les films de Denis Villeneuve en somme. Un 32 août sur Terre et Maelström étaient des road-movies permettant à deux femme de se reconstruire physiquement et psychologiquement, tout comme Incendies, qui possédait de surcroît une forte dimension psychanalytique. Polytechnique était articulé autour d’un traumatisme collectif, le massacre de l’école Polytechnique de Montréal, alors que Prisoners ou Enemy décrivaient deux cas d’enfermement mental, l’un autour d’une folie vengeresse, l’autre autour d’une forme de schizophrénie. Quand à Sicario, son précédent long-métrage, il reposait beaucoup sur le ressenti du personnage féminin principal, un jeune agent du FBI découvrant avec effroi la dure réalité du terrain. Ici, Louise est obligée de repenser complètement les notions d’espace et de temps, et surtout son rapport à la maternité.

En poussant le curseur un peu plus loin, on peut très bien voir le film comme l’univers mental d’une femme angoissée par la perspective de la maternité et par la peur de perdre son enfant. De nombreux éléments évoquent la maternité, la matrice utérine : la forme ovoïde du véhicule extra-terrestre, l’environnement aquatique dans laquelle évoluent les deux heptapodes, la forme arrondie des pictogrammes qui leur servent de moyen de communication…
L’idée n’est pas absurde : La grossesse constitue une sorte d’invasion du corps féminin, et le bébé est un alien avec lequel il faut apprendre à communiquer patiemment.

La grande force du film, c’est justement de proposer plusieurs niveaux de lecture. On peut très bien voir le film au premier degré, suivre cette histoire de science-fiction et savourer ses étonnants rebondissements ou y voir, comme dans “Story of your life”la nouvelle de Ted Chiang qui a inspiré le film, une réflexion sur le déterminisme et le libre-arbitre. On peut encore y lire un message de paix, invitant les peuples de la Terre à cohabiter pacifiquement et à communiquer les uns avec les autres plutôt que de céder à la xénophobie, la paranoïa et l’individualisme…
Une fois de plus, Denis Villeneuve réussit le pari de livrer une oeuvre qui respecte les codes d’un genre tout en s’en affranchissant, de livrer un film qui soit à la fois accessible au grand public et qui puisse, de par sa richesse et sa complexité, satisfaire des spectateurs plus exigeants. Ce film de science-fiction ambitieux s’inscrit illico parmi les grandes réussites du genre, et impose un peu plus son metteur en scène, Denis Villeneuve, comme un auteur majeur du septième art.

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Note :
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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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