C’est le premier weekend de la Mostra de Venise 2015 et on sent que le festival monte en puissance. La foule s’amasse autour du Palazzo del Cinema pour voir les stars arpenter le tapis rouge. Johnny Depp est toujours là, mais cette fois, il accompagne sa compagne, Amber Heard, à l’affiche dans The Danish Girl, présenté en compétition officielle. Eddie Redmayne et Alicia Vikander étaient également présents pour défendre le film. Kristen Stewart était également là pour Equals, le film d’anticipation de Drake Doremus. Tout comme Juliette Binoche et Lou De Laâge pour L’Attesa de Piero Messina.
On a également pu croiser Liam Cunningham et Bérénice Béjo, sur la lagune pour présenter The Childhood of a leader de Brady Corbet.
Mais la plupart des festivaliers sont là pour voir des films. Cela tombe bien, les projections se font de plus en plus nombreuses et les salles sont bien remplies.
En compétition officielle, nous avons pu voir The Danish girl de Tom Hooper, qui raconte l’histoire de la première transsexuelle de l’histoire, Lili Elbe (Eddie Redmayne).
L’auteur du Discours d’un roi réalise un film de facture très classique, “trop académique” ou “trop hollywoodien” diront certains, mais il aborde son sujet de manière très pudique, tout en délicatesse, sans abuser des effets mélodramatiques dont le cinéma hollywoodien est coutumier.
Et ses acteurs ne forcent pas le trait non plus. Eddie Redmayne est impressionnant dans la peau de ce personnage tourmenté, tiraillé entre son couple et son besoin vital d’affirmer sa vraie nature. Et Alicia Vikander se révèle très émouvante dans le rôle de son épouse, qui se sacrifie pour aider l’homme qu’elle aime à trouver le bonheur.
Autre duo émouvant, celui composé par Juliette Binoche et Lou de Laâge dans L’Attente (L’attesa) de Piero Messina, une histoire de deuil bouleversante, racontée avec beaucoup de finesse. Juliette Binoche incarne Anna, une mère qui vient de perdre son fils et qui reçoit la visite de Jeanne, la petite amie de ce dernier, qui ignore totalement qu’il est décédé. Incapable de lui annoncer la terrible nouvelle, elle décide de lui laisser croire que le jeune homme doit arriver prochainement. En attendant, les deux femmes font connaissance et nouent une relation complice qui remet un peu de vie dans la grande maison d’Anna.
Le film repose essentiellement sur les échanges entre Anna et Jeanne, sur le lien invisible, fait de douleur et de manque, qui unit les deux femmes. L’émotion passe par les regards de Juliette Binoche et Lou de Laâge, par la douceur de la mise en scène de Piero Messina, dénuée de pathos. Et L’Attente nous touche en plein coeur.
Dommage que le public vénitien n’ait pas été conquis par le film, si l’en croit les quelques sifflets ayant accompagné la projection de presse. Autre culture, autres goûts cinématographiques…
Autre exemple : ils ont l’air d’avoir plutôt aimé Equals, le film d’anticipation de Drake Doremus avec Nicholas Hoult et Kristen Stewart, alors qu’il nous a profondément ennuyés. Cette version (Twi)light de THX 1138 ou de Bienvenue à Gattaca nous a profondément ennuyés. Ce n’est qu’une banale romance à l’eau de rose pour midinettes qui n’utilise la science-fiction que comme une toile d’arrière-fond sans intérêt. Ajoutez à cela des acteurs aux expressions figées, des décors minimalistes et une musique lénifiante, et vous aurez une petite idée de ce que l’on pense du film… Next!
Présenté dans le cadre de la section Orizzonti, The Childhood of a leader de Brady Corbet n’était guère plus enthousiasmant.
Il s’agit d’une sorte d’ersatz du Ruban blanc de Michael Haneke, sans le talent, sans la maîtrise technique, sans les qualités d’écriture. En gros, il s’agit de montrer comment le contexte politique, religieux et moral de l’Europe du XIXème siècle a favorisé l’émergence des idées fascistes. Le scénario, étrange, entrelace chronique intimiste (Tout tourne autour de l’éducation d’un jeune garçon) et film historique (L’intrigue se déroule au moment de la signature du traité de Versailles, à la fin de la 1ère Guerre Mondiale) avant de basculer dans une dernière partie absconse qui ruine tous les efforts accomplis pour proposer une oeuvre à thèse cohérente.
Cela s’appelle se tirer une balle dans le pied…
Toujours dans la section Orizzonti, nous avons pu découvrir le nouveau film de Tobias Lindholm, Krigen (A war).
Il s’agit d’une oeuvre inaboutie, qui repose sur une construction trop bancale pour convaincre pleinement. Le cinéaste commence par la description du quotidien des soldats envoyés en Afghanistan et de de leurs familles restées au pays, avant de changer de cap dans sa deuxième partie en revenant à ses premières amours, le huis clos, à travers le procès d’un soldat accusé d’avoir commis un crime de guerre malgré lui, en ayant donné l’ordre de tirer sur une cible civile. Prises séparément, les deux parties comportent de bonnes idées, mais mises bout à bout, elles ne fonctionnent pas vraiment. Dommage, car la mise en scène est plutôt efficace et les comédiens, Pilou Asbaek en tête, sont impeccables.
Dans la section Giornate degli autori, la cinéaste tunisienne Leyla Bouzid a présenté A peine j’ouvre les yeux, long-métrage construit autour d’une jeune femme en quête d’indépendance et de liberté, dans la Tunisie d’avant le Printemps Arabe. Malgré un manque de moyens manifeste, la cinéaste réussit à reconstituer le climat ayant conduit la jeunesse tunisienne à se rebeller contre l’ordre établi et elle fait de son héroïne le porte-drapeau des jeunes tunisiens, des femmes et de toutes les personnes opprimées par le régime de Ben Ali. Un joli premier film, qui a aussi le mérite de révéler une jeune comédienne épatante, Baya Medhaffer.
D’un pays à un autre, d’une époque à une autre… L’intérêt d’un festival tel que la Mostra de Venise, c’est de nous faire voyager.
Les festivaliers ont pu, par exemple, passer d’un petit village du Népal (The Black Hen, à la Settima della Critica) au quartier de Jackson Heights à New York (In Jackson Heights de Frederik Wiseman, hors cométition), d’un cimetière de Jérusalem (Mountain de Yaelle Kayam, Orizzonti) à l’Italie fantasmée de Fellini (Amarcord, à Venezia Classici), du Danemark des années folles à une contrée sans nom, dans un futur proche, du désert afghan à une maison vide baignée sous le soleil sicilien…
Hop, un dernier saut spatiotemporel (pour aujourd’hui) avec Sobytie (The Event) le documentaire de Sergei Loznitsa sur le putsch manqué d’août 1991, à Moscou, qui a définitivement scellé la dislocation de l’Empire Soviétique. Le cinéaste a utilisé des images d’archives pour montrer l’évènement sous différents angles de vue et montrer l’élan populaire spontané qui a permis de faire échouer ce coup d’état. A une époque où certains dirigeants russes rêvent de réunir au sein du même état tous les anciens satellites de la Russie et où la crise ukrainienne est toujours un sujet de préoccupation majeur à l’Est de l’Europe, le cinéaste cherche sans doute à rappeler à son peuple qu’il s’est déjà mobilisé pour faire chuter les tyrans par le passé et qu’il est tout à fait possible de recommencer…
A demain pour la suite de ces chroniques vénitiennes…