7ème jour de festival. La Mostra bat son plein. Il y avait encore deux films en compétition aujourd’hui, plus deux films hors-compétition attendus.
Commençons avec Ana Arabia, le nouveau long-métrage d’Amos Gitaï.
Il nous invite à suivre Yael (Yuval Scharf), une jeune journaliste israélienne qui veut faire un reportage sur le destin de Siam Hassan, une Juive polonaise qui a survécu aux camps de concentrations puis qui est venue s’installer en Israël, et s’est convertie à l’Islam pour épouser un palestinien. Un parcours atypique, courageux, au vu des inimitiés entre les deux communautés. Siam Hassan, également connue sous le nom de Ana Arabia (Moi, l’Arabe) a vécu avec son mari et ses enfants dans un petit lotissement, à la frontière entre Jaffa et Bat Ya, jusqu’à sa mort.
La journaliste entend récolter les témoignages des proches de cette femme au destin passionnant : son mari, Yussuf, sa fille Miriam, qui entretient le jardin planté par sa mère, son fils Walid, sa belle-fille Sarah, les voisins de Yussuf… En circulant dans cette enclave coupée du reste de la ville, dernier bastion Arabe historique dans une ville de plus en plus mixte et plus moderne, et en discutant avec les habitants, Yael se rend compte qu’en plus de l’histoire de Siam Hassan, elle récolte suffisamment de matière pour raconter au moins quatre autres histoires passionnantes. Elle est notamment fascinée par l’histoire de Sarah, une Juive qui a elle-aussi réalisé un mariage mixte en épousant le deuxième fils de Siam et Yussuf et qui a souffert de l’échec de cette union.
La balade de Yael au sein de cette communauté permet d’évoquer la place des Arabes dans la société israélienne, le poids des communautés, l’intolérance, les difficultés sociales, la place de la femme dans les sociétés du Moyen-Orient, et, bien sûr, l’absurdité du conflit israélo-palestinien…
Le scénario est évidemment très travaillé, découpé de façon à aborder le maximum de choses, mais les anecdotes racontées par les protagonistes sont bien réelles, tirées des souvenirs des véritables habitants de cette enclave située à Jaffa et de la femme qui a inspiré le personnage d’Ana Arabia, toujours en vie.
La particularité du film, c’est de n’être composé que d’un seul plan de 80 minutes. Un long plan-séquence ininterrompu qui suit la jeune journaliste dans les allées reliant les bâtiments du lotissement, avec un sens du cadrage qui laisse pantois et une direction d’acteurs brillante. Et pour une fois, il ne s’agit pas d’un exercice de style vain et prétentieux. Certes, le cinéaste s’est lancé le défi de réaliser le film en un plan unique, mais ce long plan-séquence fait sens. Il a une dimension politique : la caméra ne s’interrompt pas, parce que le cinéaste ne souhaite pas que le lien entre israéliens et palestiniens, entre Juifs et Arabes soit rompu. Le parti-pris de suivre Yael permet aussi au spectateur de vivre la même expérience qu’elle, et d’éprouver la même compassion pour les différents protagonistes.
Certains spectateurs trouveront sans doute cela trop ennuyeux, mais il s’agit assurément d’un des beaux films de cette 70ème édition.
(Notre note : ●●●●●○)
Egalement en lice pour le Lion d’Or, Under the skin de Jonathan Glazer.
Tiré d’un roman de Michael Faber, le film nous emmène en Ecosse, sur les traces d’Isserley, une entité extra-terrestre envoyée sur Terre pour accomplir une importante mission : faire les courses. L’objectif est de remplir le caddie au maximum avec des carcasses humaines… Et puisqu’elle ne peut pas se balader sous sa forme originelle, peu discrète, la créature doit se glisser dans la peau d’une jeune femme. Au hasard, hop, Scarlett Johansson. Pas bête, l’alien… Il est plus facile d’harponner le mâle britannique, élevé à la bière et au scotch, avec les appâts de la divine Scarlett qu’avec ceux d’une femelle lambda.
Son mode opératoire est toujours le même : elle sillonne les rues des villages écossais dans sa camionnette, attire l’attention de jeunes garçons en mal d’amour, tout émoustillés par les charmes de la belle extraterrestre et elle les guide dans une sorte de liquide noirâtre, où ils sont stockés et engraissés avant de servir de quatre heures aux envahisseurs.
Les choses dérapent quand Isserley découvre les sentiments humains, déjà en voyant un homme perdre la vie en tentant de sauver de la noyade un couple entraîné par la marée, sur une plage, puis en jaugeant la détresse d’un humain différent des autres, crevant de solitude. La froide extraterrestre découvre la compassion, un sentiment qui, désormais l’empêche de poursuivre sa mission…
Apparemment, le roman original était une satire sociale noire abordant de nombreux thèmes, autour de l’écologie, l’économie et l’humanité. Jonathan Glazer a choisi de se concentrer sur le dernier aspect, et de signer une fable sur les apparences, la beauté intérieure, le rejet de la différence et, d’une manière générale, sur ce qui caractérise l’espèce humaine.
On peut regretter que le propos ne soit pas plus dense que cela, car, faute de contenu, certaines scènes paraissent redondantes et le cinéaste prend le risque de perdre des spectateurs en route. Mais Scarlett Johansson tient le film grâce à sa présence d’un autre monde et esthétiquement, le film est une belle réussite. Le premier quart d’heure, notamment, est une belle expérience sensorielle, et tous les plans où Isserley piège ses victimes dans cet espace aquatique sombre sont visuellement sublimes.
Le film divisera sans doute le public et les critiques. A la Mostra, il a été très diversement apprécié, avec des réactions d’adhésion ou de rejet très tranchées. Aura-t-il séduit le jury? Réponse samedi soir…
(Notre note : ●●●●○○)
Autre oeuvre de nature à diviser les festivaliers, Moebius de Kim Ki-duk.
Le cinéaste sud-coréen avait reçu le Lion d’Or l’an passé pour Pièta, un long-métrage qui avait déjà suscité la polémique en raison d’une scène d’inceste mère-fils assez éprouvante. Il revient avec un film encore plus provocateur, qui accumule les scènes choquantes : violences domestiques, viol collectif, émasculations, auto-mutilations érotiques, sado-masochisme, inceste, suicides… Le film ne cherche absolument pas à ménager le spectateur, et encore moins le comité de censure, qui se retrouve avec un objet quasiment impossible à gérer en l’état.
Le scénario est centré autour d’une famille coréenne bourgeoise qui vole en éclats, dès les premières images du film. Les parents se disputent parce que le père a une maîtresse, la jeune femme qui gère l’épicerie du quartier. La mère l’a découvert et, ivre d’alcool et de vengeance, tente d’assassiner son mari, sans réussite. Avant de prendre la fuite, elle passe sa frustration sur son fils, en l’émasculant.
Le père reste seul avec le garçon, et constate, impuissant, les souffrances que le garçon éprouve suite à la perte de sa virilité. Prêt à tout pour expier ses fautes, il cherche toutes les solutions possibles pour que le garçon puisse se sentir mieux dans sa peau. Il découvre notamment que le plaisir peut naître de la souffrance, en frottant très fort, jusqu’au sang, n’importe quelle partie de l’anatomie humaine. En gros, qu’on peut prendre son pied au sens propre pour se donner du plaisir…
A l’écran, ce concept induit ce qui constitue sans doute les scènes de sexe les plus bizarres de l’histoire du cinéma, en particulier un ménage à trois entre deux castrats et une jeune femme à la poitrine opulente, et un sex-toy de fortune plus qu’inattendu. Beaucoup trouveront cette accumulation de scènes de sexe et de violence totalement insupportable et complaisante. On peut le comprendre, car il faut bien reconnaître que le cinéaste y va quand même un peu fort dans la représentation des tabous à l’écran.
Mais derrière ce chaos apparent, il y a une grande rigueur de la mise en scène, au service d’un thème : la perte des repères au sein de la famille sud-coréenne, qui peut elle même être vue comme un microcosme représentatif de la société en général. Il y a déjà l’idée des non-dits qui rongent les personnages, traduit par le parti-pris de ne pas du tout utiliser de dialogues tout au long du film. Parmi ceux-ci, il y a l’inceste, un motif qui revient de façon récurrente dans les films de Kim Ki-duk. Mais le propos est surtout centré sur l’échange des rôles au sein de la famille, à cause des femmes castratrices, des époux dévirilisés ou des enfants plus matures que leurs parents. Le titre, qui fait référence au ruban de Moebius, peut s’expliquer par cet échange des rôles : Le fils prend la place du père, le père prend la place de la mère et la mère celle du fils, pour boucler la boucle.
Il faut vraiment s’accrocher et aller au-delà de ces scènes volontairement outrancières pour apprécier le long-métrage de Kim Ki-duk. Certains y parviendront, d’autres non…
(Notre note : ●●●●●○)
En revanche, pour mettre tout le monde d’accord, il y a Albator…
Alba qui? Alba quoi? demanderont les plus jeunes, qui n’ont pas grandi dans les années 1980 et n’ont donc pas connu la série d’animation du même nom. Albator, c’est le nom français de Captain Harlock, le personnage principal d’un manga de Leiji Matsumoto, adapté en série télévisée dans les années 1970/1980 par la Toei animation. Un pirate de l’espace charismatique, sillonnant la galaxie pour défendre la Terre contre les extra-terrestres belliqueux (Scarlett, gare à toi!) ou les autorités humaines qui sacrifient le peuple pour garantir leurs propres intérêts, qui a fait le bonheur de toute une génération biberonnée à Récré A2. >> soupir nostalgique <<
Il revient aujourd’hui sur grand écran, relooké avec les moyens modernes du cinéma d’animation : motion-capture de plus en plus précise et réaliste, effets spéciaux numériques spectaculaires et 3D relief de haut-vol (spatial, bien sûr…).
L’intrigue de Captain Harlock, space pirate se déroule dans un lointain futur, à une époque où les humains ont colonisé le reste de la galaxie, mais n’ont jamais réussi à trouver mieux que notre belle planète. Alors, tout le monde a tenté de rentrer au bercail en même temps, ce qui a créé un certain chaos et de nombreux conflits fratricides. Finalement, il a été décidé de faire de la Terre un sanctuaire interdit aux humains, un havre de paix protégé par la Congrégation de Gaïa. Pendant ce temps, l’espèce humaine s’éteint à petit feu… Seul Harlock/Albator, à bord de son vaisseau pirate, s’élève contre l’ordre établi. Il a un plan audacieux pour permettre au monde de renaître…
Y réussira-t-il? Réponse au terme de ce film d’aventures et de science-fiction parfois confus, mais captivant, et, surtout, visuellement superbe.
On est épatés par la beauté des paysages dépeints, les détails des navettes et des véhicules spatiaux, et, surtout, par l’expressivité des visage, qui témoigne des progrès effectués en matière d’animation en images de synthèse. mille milliards de mille sabords, on est conquis!
(Notre note : ●●●●●○)
Dans la section Orizzonti, le rythme était plus lent, bien plus lent…
La Vida despuès, de david Pablos,est un road-movie entraînant deux frères aux caractères totalement opposés – l’aîné, dur et cynique, le cadet, calme et sensible – à la recherche de leur mère, psychologiquement instable, à travers le Mexique, de Mexico jusqu’au désert de Sonora. Au cours du périple, les deux frères vont être amenés à réfléchir à la nature du lien qui les unit et à prendre des décisions quant à leurs avenirs respectifs. Sont-ils obligés de rester ensemble alors qu’ils n’ont plus rien en commun, si ce n’est le lien du sang? Peuvent-ils encore se considérer comme une famille, alors que leurs parents les ont abandonné, tour à tour?
L’intérêt de ce film réside surtout dans sa mise en scène, intéressante, qui joue beaucoup sur les idées de disparition et de séparation, et qui génère un certain malaise. Le début du film, notamment,intrigue et éveille l’intérêt du spectateur, mais le film prend ensuite un cheminement plus prévisible et le rythme s’essouffle en cours de route. Dommage…
Pour un premier long-métrage de fiction, c’est néanmoins encourageant, et on attend de voir s’il y aura une vie après La Vida despuès pour ce jeune cinéaste mexicain.
(Notre note : ●●●●○○)
A domani pour la suite de nos chroniques vénitiennes.
Ciao a tutti