Après les très bon décollage d’hier soir, le vol Mostra 70 s’est placé en orbite autour de la compétition, avec Via Castellana Bandiera, film d’Emma  Dante, mais en même temps, redescend sur Terre. Sur une terre, plus précisément, celle de Sicile, dont est originaire la cinéaste.
Elle joue également le rôle principal du film, une femme qui, accompagnant sa compagne à un mariage, est obligée de revenir à Palerme, qu’elle a fui des années auparavant. Leur voiture se perd dans les ruelles de la ville et se retrouve bloquée dans une ruelle étroite, face à la voiture d’une vieille femme qui rentre chez elle, avec le reste de sa famille. Il n’y a pas de place pour que les deux voitures roulent côte-à-côte. L’une d’elle doit reculer et céder le passage. Mais aucune des deux conductrices n’entend faire le premier pas. La situation s’éternise et les riverains s’en mêlent…
Ce point de départ original permet à la cinéaste de montrer toutes les facettes de sa ville d’origine, d’exprimer son attachement à ses racines mais aussi le rejet de certaines traditions, notamment les magouilles, la violence, la loi du silence, la puissance des clans et ce que cela implique comme tensions au sein de la communauté, l’importance de la famille et cette fierté, cette obstination qui, à terme, mène les insulaires vers le vide.
Le procédé est intéressant, et offre son lot de situations cocasses, un peu à la manière du film de Luigi Comencini, Le Grand Embouteillage mais il montre aussi ses limites en cours de route, car si le blocage décrit par le scénario s’éternise, le film traîne aussi en longueur. Le dernier plan, à la portée symbolique forte, est même assez interminable. Mais Via Castellana Bandiera est assurément un bon film, à la fois très personnel et universel, qui révèle le talent singulier d’Emma Dante, comédienne passée à l’écriture et aujourd’hui à la réalisation, avec un certain brio.

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Autre terre, autre lieu, l’Australie.
Pour le second film de la  compétition officielle, Tracks, John Curran nous emmène dans un long voyage entre Alice Springs et l’Océan Indien, une traversée du désert australien à dos de chameau.
Ce trajet, c’est celui qu’a effectué Robyn Davidson en 1976. Le film est tiré du best-seller qu’elle a écrit pour raconter son aventure et des reportages publiés par National Geographic, qui a sponsorisé son expédition en échange d’un reportage photo au long du périple.
Vu la beauté des paysages traversés, la complicité entre la jeune femme et ses animaux et les rencontres improbables qu’elle a faites en route, la balade devait être une aventure humaine formidable à vivre. A l’écran, c’est agréable à suivre, mais cela manque quand même un peu trop d’enjeux pour tenir la distance. A un moment, le film semble prendre un virage onirique et psychanalytique intéressant, mais le cinéaste, habitué aux films plutôt académiques  (Le Voile des Illusions, We don’t live here anymore), revient vite sur la piste principale, beaucoup plus balisée, pour ne livrer qu’un film d’aventures platement illustratif, qui, de notre point de vue, est assez faible pour une compétition du calibre de Venise.
Reste que Mia Wasikowska se sort fort honorablement d’un rôle assez physique et que les prises de vue, magnifiées par la photographie de Mandy Walker, sont vraiment belles et invitent au voyage.

Hors compétition, il y avait également, pour le public, la projection d’un documentaire sur un concert de Frank Zappa en Sicile, en 1982, justement intitulé Summer 1982, when Zappa came to Sicily. Pas vu…

Aujourd’hui marquait aussi l’ouverture de la section Orrizonti, avec deux films aux rythmes et aux esthétiques diamétralement opposées.
Le premier Wolfskinder, de Rick Ostermann est un film de facture assez classique, aux dialogues rares et au rythme assez lent, qui décrit le périple d’un groupe d’enfants allemands essayant de fuir l’Allemagne pour la Lituanie, au lendemain de la seconde guerre mondiale. Pourchassés par les soldats soviétiques, qui ont pris possession de la Prusse Orientale, ils sont contraints d’emprunter des chemins de traverse, dans des forêts froides et humides, avec ce que cela comporte comme risques. Ils survivent en mangeant des baies, en chapardant dans les fermes ou en troquant la nourriture contre le peu qu’ils possèdent. Les plus faibles seront tués, ceux qui ont un peu plus de chance seront adoptés par des fermiers lituaniens, mais devront changer de nom, d’identité, et oublier leurs racines. Autant dire qu’il ne s’agit pas d’un film très joyeux. C’est au contraire assez austère et froid, pour ne pas dire sordide. Mais il est difficile de rester insensible au sort de ces orphelins de guerre livrés à eux-mêmes, et dont l’innocence a été balayée par le bellicisme des adultes.

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Le second, Why don’t you play in hell? est du Sono Sion pur jus, qui commence avec une publicité pour un dentifrice et se termine en bain de… de bouche? Euh, non : de sang. Un carnage cinématographique qui pourrait presque s’inscrire dans le Guiness book des records…
Entre les deux extrémités, un film fou furieux, dans l’esprit de son Love exposure. Il y est question de yakuzas et de vengeance entre clans rivaux – classique – mais aussi de la romance chaotique entre une ex enfant-star (celle qui joue dans la publicité pour le dentifrice) et son plus grand fan, et des efforts d’une bande d’illuminés fans de cinéma, les “Fuck bombers”  pour réaliser le film ultime.
Si Sono Sion s’était un peu calmé avec Himizu et Land of hope, il revient ici au style plus foutraque de ses débuts. Normal : le film possède un fond autobiographique assez net, correspondant à la jeunesse du cinéaste. Avant de devenir un cinéaste important, Sono Sion a fait partie d’un groupe d’artistes révolutionnaires qui faisait des happenings potaches en pleine rue. Il a toujours cherché à conserver ce côté iconoclaste, cette envie de bousculer l’ordre établi, de réaliser le film cinématographiquement parfait…
Il rend ici hommage aux films de genre qui l’ont inspiré, des films de yakuzas aux histoires de samouraï, en passant par les films d’horreur et les oeuvres complètes de Bruce Lee. A moins qu’il ne se moque justement de ceux qui réalisent ce genre d’hommage… En tout cas, les cinéphiles se délecteront de sa relecture personnelle d’une des scènes-cultes de Kill Bill volume 1 de Quentin Tarantino.
Après, il est certain que le film va diviser. Ceux qui aiment l’univers grand-guignolesque du bonhomme et tolèrent facilement ses excès, dans l’hystérie et les effets gore, devraient se régaler. Ceux qui détestent le cinéaste ou qui n’adhéraient pas à ses films les plus fous, comme Love exposure ou Cold Fish, peuvent dores et déjà passer leur chemin. Ils n’aimeront pas plus ce nouveau long-métrage.
Les autres se diviseront entre les déçus, qui pensaient que le cinéaste s’était assagi et tendait désormais vers plus d’épure, et les satisfaits, qui apprécieront ce spectacle furibard, tout en sachant pertinemment que le film peut être considéré comme mineur dans la carrière du réalisateur japonais…

La Semaine de la Critique a elle aussi ouvert ses portes aujourd’hui, avec la projection d’un joli film d’animation italien, L’Arte della felicità.
Le récit est axé autour d’un chauffeur de taxi, Sergio, qui a du mal à faire le deuil de son frère aîné, Alberto, récemment décédé. A vrai dire, son malaise est plus profond que cela. Il date de l’époque où Alberto avait décidé de tout quitter pour devenir moine bouddhiste à Katmandou. Un soir de déprime, Sergio embarque une cliente qui lui évoque un peu son frère. Une femme en pleine rupture amoureuse, qui lui demande de l’emmener n’importe où, vers un lieu qui lui évoque des souvenirs personnels. Le chauffeur s’exécute et sans le savoir, entrouvre la porte à un apaisement spirituel.
A mesure que le récit avance, des gens montent et descendent de son taxi. Des clients réels et des fantômes du passé. La frontière entre les souvenirs, les fantasmes et le rêve se confond et Sergio se retrouve confronté à ses propres démons, ses angoisses, ses frustrations et à toutes les choses qui l’empêchent d’être pleinement heureux. Evidemment, tout cela repose beaucoup sur la mort de son frère et à son incompréhension face à cette retraite spirituelle inattendue qu’il avait entamé…
Autant le dire tout de suite, L’Arte della felicità  n’est pas un film facile d’accès. Il faut un certain temps pour en comprendre les tenants et les aboutissants, et le cinéaste s’emploient à nous perdre dans le dédales des pensées de son personnage principal. Mais, pour qui parvient à s’accrocher, ce voyage mental peut procurer une belle dose d’émotions.
L’animation est rudimentaire, et les traits des dessins sont atypiques, mais l’ensemble possède un certain cachet, et il y a de nombreuses idées dans les transitions, le découpage des séquences ou la récurrence des motifs principaux. Une oeuvre intéressante, qui met en lumière le talent de son auteur, Alessandro Rak.

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A Venice Days, il y avait la projection de deux courts-métrages de la collection Miu-Miu Women’s tales, ceux de Hiam Abbas et Ava DuVernay. Et aussi la projection du film turc Köksüz, qui tourne autour des membres d’une famille incapables de se ressouder après la mort du père de famille. Pas très rigolo, dit comme ça. Mais nous ne l’avons pas vu, alors nous nous garderons bien de juger…

Enfin, la Mostra a remis un Lion d’or d’honneur à William Friedkin, en hommage à sa brillante carrière. C’est le film Le Convoi de la peur qui a été choisi pour accompagner cet hommage.

A domani, pour la suite de nos chroniques vénitiennes

Ciao a tutti

 

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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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