Imaginez un peu un monde dans une galaxie différente de la notre, où évoluent deux planètes superposées et symétriques, de gravité opposée. Vous ne visualisez pas ? Normal, l’idée est de la pure science-fiction et défie toute logique physique conventionnelle. A la rigueur, ceux qui ont été bercés par les leçons d’astronomie farfelue des Shadocks pourront se faire une petite idée de la chose…
Disons, pour expliquer les choses plus clairement, que le sol de la première planète correspond au ciel de la seconde et réciproquement.
Pour que cela fonctionne et que chaque chose reste à sa place, les habitants et objets de la planète n°1 et ceux de la planète n°2 sont soumises à des gravités opposées. Sinon, ce serait vite le boxon…
L’inconvénient, évidemment, c’est que ça ne facilite pas vraiment les contacts entre les habitants des deux planètes… De toute façon, ils sont strictement interdits. On ne mélange pas les torchons et les serviettes… Ah oui, car pour compliquer les choses, les deux planètes n’ont pas tout à fait les mêmes moyens. Le monde “d’en bas” est pauvre et en déclin permanent. Il doit céder ses ressources énergétiques (pétrolières) à son voisin “d’en haut”, riche et prospère, qui en échange, lui fournit de l’électricité à un tarif prohibitif, afin d’asseoir un peu plus sa domination.
Le seul endroit où les contacts sont tolérés, c’est la tour de la compagnie “Transworld”, le riche conglomérat qui s’occupe des échanges énergétiques entre les deux mondes – et de bien d’autres activités commerciales lucratives. Mais même là, il y a une stricte séparation du personnel. Les cols blancs d’en haut surveillent le travail des petits employés d’en bas, à qui les étages supérieurs sont évidemment interdits.
Il existe cependant un autre endroit où les deux mondes se touchent presque : la Montagne de la Sagesse.
C’est là que Eden, une fillette d’en haut, et Adam, un gamin d’en bas, vont se rencontrer. Ils vont s’y retrouver fréquemment, jusqu’à l’adolescence, et finir par transformer leur complicité en amour, vivant leur idylle coupés du/des monde/s.
Mais un jour, alors que Eden est descendue batifoler avec Adam, ils sont surpris par une patrouille de Transworld. En fuyant, la jeune femme retombe lourdement dans son monde et est laissée pour morte par les agents de la sécurité, qui embarquent Adam manu militari.
Dix ans plus tard, le jeune homme tente d’oublier la perte de sa bien-aimée en se plongeant dans le travail. Il n’est pas loin de mettre au point une crème cosmétique révolutionnaire qui fera enfin la fortune du monde d’en bas. Il utilise la matière inverse comme principe actif. Le minerai, sous l’effet de l’attraction du monde opposé, lifte les traits du visage. Un antirides miracle. Ou presque, puisque pour le moment, l’effet ne dure que quelques minutes et que la matière inverse a la fâcheuse tendance à s’embraser lorsqu’elle reste trop longtemps éloignée de la planète dont elle est originaire.
Mais un soir, Adam aperçoit Eden à la télévision. Elle est encore en vie et travaille pour Transworld. Le garçon n’hésite pas une seconde. Il utilise son idée de crème miracle pour se faire engager dans la Tour Transworld. Bien sûr, il est cantonné aux étages inférieurs de la tour, sans possibilité de contacter sa belle. Mais son job lui permet d’avoir accès à de grosses quantités de matière inverse, qui va lui permettre de pouvoir évoluer librement dans le monde d’en haut pendant quelques minutes et de pouvoir partir à la recherche d’Eden.
il reste néanmoins un obstacle, et de taille : sa chute, dix ans plus tôt, l’a rendue amnésique. Adam va devoir prendre des risque pour la reconquérir…
Cette trame narrative originale est issue de l’imagination débordante de Juan Diego Solanas, un jeune cinéaste argentin qui s’est illustré avec un court-métrage fantastique multi-primé, L’Homme sans tête et un premier long-métrage touchant, Nordeste, avec Carole Bouquet.
Le jeune cinéaste a eu la vision de deux montagnes l’une au-dessus de l’autre, inversées, avec un homme sur un sommet et une femme sur l’autre. A partir de là, il a échafaudé son scénario en l’axant autour d’une histoire d’amour contrariée, entre un homme et une femme habitant des mondes différents. Et il a ensuite imaginé tout l’environnement esthétique de l’oeuvre, impressionnant.
De ce point de vue-là, sans vouloir faire de mauvais jeu de mot, Upside down est tout simplement renversant. On ne peut qu’être impressionné par son ampleur visuelle, par la minutie avec laquelle chaque plan a été conçu. Certains décors sont absolument sublimes, comme ce café/salle de bal dont les clients dansent à la fois au sol et au plafond, ou cet open space labyrinthique à l’étage zéro de la Transworld tower.
Malgré un budget modeste, du moins pour une oeuvre aussi ambitieuse (55 M$, quand même…), l’équipe technique a fait des miracles et a réussi son pari.
Autre point fort, le côté métaphorique de l’oeuvre.
Avec cette idée de clivage économique et social entre les deux mondes, l’un pauvre et exploité, l’autre riche et dominateur, Upside down apparaît comme une charge contre le système ultra-libéral qui régit notre propre monde. Il symbolise l’opposition entre les pays du Nord, globalement riches et industrialisés, et les pays du Sud, pour la plupart pauvres et sous-développés, mais riches en ressources minières ou pétrolifères qu’exploitent sans vergogne les grands groupes européens ou américains.
On peut aussi voir dans le film une réflexion sur le totalitarisme et établir un parallèle avec la dictature argentine à la fin des années 1970, qui a contraint le cinéaste, alors enfant, à s’exiler en France en compagnie de son père, le cinéaste Fernando Solanas.
Le problème, c’est que ces thèmes intéressants se retrouvent vite écartés pour focaliser l’intrigue sur l’histoire d’amour entre Adam et Eden. Une belle histoire, certes, qui bénéficie de l’alchimie entre Jim Sturgess et Kirsten Dunst, tous deux très bons. Mais le scénario, hélas, ne tient pas la distance.
Au fil des minutes, il devient assez prévisible, les enjeux s’effilochent. Est-ce pour cela que le cinéaste a décidé de précipiter le dénouement? Ou bien est-ce par manque de moyens financiers pour boucler le film? Toujours est-il que la fin du film semble bien rapide et décevante au regard de la mise en place effectuée jusque-là. Les motivations des grands pontes de la Transworld tower ne sont pas clairement explicitées, les enjeux politiques sont dilués dans l’eau de rose et la guimauve, même si on comprend bien le message sur les bienfaits de la mixité, du brassage des cultures et des milieux, du partage des richesses… Dommage, car c’est clairement ce qui empêche Upside down de se hisser au niveau des réussites majeures du genre, comme Brazil de Terry Gilliam, Bienvenue à Gattacca d’Andrew Niccol, des oeuvres auxquelles on pense à la vision du film de Juan Diego Solanas, mais avec lesquelles la comparaison est écrasante.
Upside down reste malgré tout un film de science-fiction tout à fait honorable et hautement recommandable, ne serait-ce que pour ses qualités plastiques indéniables. On lui souhaite de rencontrer son public, afin que son auteur puisse continuer à mettre son imagination au service de projets ambitieux et audacieux. Car le bonhomme a du talent, c’est certain, ainsi qu’une patte particulière qui donne envie de continuer à suivre attentivement son travail.
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Upside down Upside down Réalisateur : Juan Diego Solanas Avec : Kirsten Dunst, Jim Sturgess, Timothy Spall, Jayne Heitmeyer, James Kidnie Origine : France, Canada, Argentine Genre : les lois de l’attraction Durée : 1h45 Date de sortie France : 01/05/2013 Note pour ce film : ●●●●○○ Contrepoint critique : Le Monde |
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