Le premier quart d’heure du film est virtuose et justifie, à lui seul, que Salvo ait raflé les principaux trophées de la Semaine de la Critique, lors du dernier festival de Cannes..
Les cinéastes nous entraînent tout d’abord dans une course-poursuite haletante dans les rues de Palerme, au terme de laquelle le personnage principal, un mafioso prénommé Salvo, exécute froidement ses assaillants, membres d’un clan rival.
Il se faufile ensuite dans le domicile d’un de ses ennemis et abat l’individu. Mais la soeur de la victime, Rita, est également présente dans la maison. Elle n’a pas vu Salvo se faufiler car elle est malvoyante. En revanche, elle peut entendre son souffle, et tous les craquements qui se produisent quand il se déplace.
Commence alors un curieux chassé-croisé entre le tueur et la jeune femme, filmé en un magnifique plan-séquence. La caméra adopte finalement le point de vue de Rita. Elle chantonne pour essayer de se rassurer, mais la tension monte, inexorablement. Salvo va-t-il l’attaquer elle aussi? Si oui, quand? Et que va-t-il lui faire? La violer? La tuer? L’attente devient rapidement insoutenable…
Finalement, Salvo emmène la jeune femme jusqu’à un entrepôt où il la garde séquestrée. Là, alors que l’on pourrait s’attendre à ce que le rythme continue sur le même tempo, les cinéastes décident de bifurquer vers un tout autre registre, beaucoup plus contemplatif. Ils filment l’évolution de la relation entre le tueur et sa captive. Au début, leurs relations sont évidemment un peu heurtées. Mais, au fil des heures, une forme de complicité se noue entre les deux êtres. Et même, une forme de tendresse. Salvo est-il tombé amoureux de Rita ? Eprouve-t-il de la pitié face à la faiblesse et la détresse de cette jeune femme? Ou des remords pour avoir abattu son frère, le seul être qui prenait soin d’elle au quotidien?
Toujours est-il qu’au contact de la jeune femme, Salvo, véritable machine à tuer froide et impitoyable, semble soudainement s’humaniser. Ce qui le rend vulnérable…
En fait, Salvo et Rita se ressemblent, malgré leurs caractéristiques diamétralement opposées.
Déjà, ils sont tous deux aveugles, à leur façon.
La jeune femme est atteinte physiquement de cécité, mais elle ignorait également tout des affaires mafieuses de son frère. Elle représente l’innocence, la négation de la violence des hommes de Sicile. Salvo, lui est aussi aveugle, à sa façon. Son regard n’est pas vide comme celui de Rita, mais est dur comme l’acier. Son âme est noircie par le crime. Il n’est que vengeance et violence, insensible à ce qui se passe autour de lui. Du moins, il l’était avant de rencontrer la jeune femme.
Et ils sont tous deux prisonniers. Prisonniers de cet entrepôt délabré où ils attendent une catastrophe inéluctable – le moment où les parrains mafieux ordonneront à Salvo d’éliminer ce témoin gênant. Prisonniers de cette île plombée par le soleil autant que par l’héritage de la violence.
On pense beaucoup, ici, au film de Leonardo di Constanza, L’Intervallo, qui parlait, lui, de la mafia napolitaine, mais avec les mêmes parti-pris de mise en scène : un film noir lumineux, solaire, axé sur la relation entre deux être enfermés dans un endroit délabré, attendant un sort forcément funeste.
Les auteurs assument totalement leur démarche artistique, privilégiant de bout en bout un rythme lent et contemplatif. Hélas, si ce choix de mise en scène fait l’intérêt du film, il en constitue aussi la limite. Après le début du film, formidable, l’intérêt retombe peu à peu. Le film devient un brin ennuyeux, cheminant trop tranquillement vers un dénouement prévisible.
Dommage, car ce premier film possède d’indéniables qualités, sur le plan de la mise en scène, de la direction d’acteurs (Saleh Bakri et Sara Serraiocco sont tous deux excellents) et de l’esthétique générale.
A l’avenir, il faudra surveiller attentivement le travail des deux metteurs en scène, Fabio Grassadonia et Antonio Piazza, promis à une belle carrière s’ils continuent dans cette veine-là.
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Salvo SalvoRéalisateurs: Fabio Grassadonia, Antonio Piazza Avec : Saleh Bakri, Sara Serraiocco, Mario Pupella, Giuditta Perriera, Luigi Lo Cascio, Redouane Behache Origine : Italie Genre : L’amour est aveugle,la violence aussi Durée : 1h48 Date de sortie France : 16/10/2013 Note pour ce film : :●●●●●○ Contrepoint critique : La Croix |
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