Le sang et l’encre de Chine giclent dès les premières pages, annonçant le ton de cette nouvelle réinterprétation du célèbre Prométhée moderne. Le dessin au lavis, soigné et inquiétant, entraine le lecteur dans l’ambiance victorienne et fantastique propre au chef d’œuvre gothique de la jeune Mary Shelley.
Les thèmes de la profanation des corps et de la création blasphématoire de la conscience sont revisités via une origine plus anatomique de la sauvagerie de la créature. Constituée de cadavres de criminels condamnés à la potence, dont les chairs seront la glaise originelle nécessaire à sa conception, le Golem est donc mécaniquement doté de membres et d’un cerveau voués à la barbarie… mais quid de son âme ? En piètre scientifique, le Docteur Frankenstein ne tient pas compte d’un éminent principe : la nature a horreur du vide.
Ainsi, tandis que le savant fou tente de faire de sa Créature un parfait gentleman à présenter à ses pairs comme un animal de foire, celle-ci lutte contre les démons qui lui sont – littéralement – vissés au corps.
Suite au fiasco attendu qu’est sa présentation au monde d’un homme né mort, le docteur Frankenstein se retrouve banni par la communauté scientifique. Il en nourrit un ressentiment animal pour son « fils », qui lui voue une haine non moins farouche. Tous deux maudits et torturés par le manque d’altérité, l’enjeu de leurs existences respectives tient à ne pas laisser leurs souffrances prendre le dessus, à ne pas reproduire le blasphème.
Ce classique de la littérature n’en finit donc pas d’inspirer la dissection des thèmes intemporels des grandes douleurs de l’âme et de la frontière fragile entre science et éthique.
Un appendice présentant synthétiquement l’œuvre originale, ses adaptations et un bestiaire comparatif complète ce bel ouvrage aussi sombre qu’esthétique.
Frankenstein, au nom du père, de Marco Cannavo & Corrado Roi (Ed. Glénat)