Noir.
Une couverture noire.
Un quatrième de couverture noir.
Un dos, une tranche, noirs.
Un album noir, totalement noir.
Et dessus ? Des écritures noires, elles aussi. Noires sur noir, à peine décelables selon l’inclinaison que l’on donne à l’album et l’angle de la lumière touchant cette masse noire.
Un bien étrange objet qui attire immédiatement l’œil.
Et qui nous pousse à l’ouvrir… l’œil comme l’objet.
A l’intérieur ? Du noir, évidemment.
Page de garde, page de titre… première page… noires.
Nous parlons de BD, alors, bien sûr, des cases apparaissent… des cases remplies de noir, évidemment.
Peut-être distingue-t-on une très légère touche de gris. Très foncé, le gris. « Noir clair », pourrions-nous presque dire.
Forcément, on s’interroge. Et nous ne sommes pas seuls, à nous interroger : des mots apparaissent dans ces cases emplies de noir, des mots se demandant pourquoi tout ce noir.
Comme nous, le « héros » de ce livre est totalement perdu, troublé, désarçonné. Il cherche à comprendre. Nous cherchons à comprendre avec lui.
Est-il dans le noir ? Est-il aveugle ? Est-il ?
Il nous fait part de ses interrogations… et ses interrogations nous interrogent.
Une autre voix intervient. Elle tente de lui parler, elle l’interroge.
Il l’entend, il lui répond… mais elle, elle ne l’entend pas.
Il s’interroge : « Pourquoi ne m’entend-elle pas ? »
On s’interroge : « Pourquoi ne l’entend-elle pas ? »
Il pense la reconnaître : son amie… sa petite amie.
Elle est triste. Elle s’interroge sur ses yeux ouverts et pourtant sans vie.
Il est stupéfait : il s’interroge sur ses yeux qu’elle dit ouverts alors qu’il ne voit que du noir.
Il lui tend la main, mais au même moment, elle interroge : « Pourquoi ne bouge-t-il pas ? Le peut-il encore ? »
Une autre voix lui répond que, depuis le choc, il est victime d’ataraxie totale, ce qui signifie qu’il ne ressent absolument plus rien.
Il veut protester, leur dire qu’il ressent, leur dire qu’il entend, leur dire qu’il est vivant.
Les voix s’effacent, le noir revient. Profond. Pesant. Oppressant. Pour lui comme pour nous.
Le noir ne sera brisé que lorsque des voix apparaitront : la sienne, celle de son amie, celle du docteur, celle de l’infirmière… celle de l’inspecteur… celles qui aimeraient récupérer les codes… celles qui complotent… celles qui aimeraient l’aider… celles qui aimeraient le débrancher…
Des voix qui emplissent le noir qui emplit les cases… et qui petit à petit créent une lueur dans cette obscurité… esquissent une image sur ce fond noir… comme les pièces d’un puzzle… un puzzle qu’il reconstitue petit à petit… un puzzle que l’on reconstitue petit à petit…
Un puzzle effrayant pour lui, un puzzle captivant pour nous…
Une expérience de vie (de non-vie ?) éprouvante pour lui, une expérience de bande dessinée (de bande non-dessinée ?) bluffante pour nous…
Un nouvel OVNI hallucinant de Marc-Antoine Mathieu qui fait preuve une nouvelle fois d’une incroyable maîtrise, ce détournement du média se révélant aussi fou et osé que totalement pertinent et au service de l’histoire… et de son message.
* Deep me, de Marc-Antoine Mathieu (Ed. Delcourt)