Janvier 2020 : après des années d’absence et la fameuse « Fin du Donjon », l’incroyable série tentaculaire de Sfar & Trondheim est de retour, pour le plus grand plaisir de millions de fans en furie ! Furie joyeuse, évidemment, de retrouver enfin leurs héros au Zénith ; folie furieuse, également, lorsque Boulet – dessinateur dudit Zénith – comment une erreur impardonnable…
…erreur affichée en couverture, qui plus est, au vu et au su du monde entier !
Bon, OK, vous allez dire que j’exagère un poil, et je ne nierai guère ; ceci-dit, pour un fan de Donjon, le moindre détail compte : en créant ce monde sans cesse plus vaste et aux règles sans cesse plus nombreuses, les auteurs se retrouvent finalement pris à leur propre piège, et au moindre écart, une armée de censeurs anonymes tapis dans l’ombre d’internet se montrent prêts à les ramener manu militari dans le droit chemin. Ainsi, lorsque Boulet, anthropomorphisant comme il se doit ses personnages, choisit une jolie lapine pour « interpréter » une serveuse de bar lambda, c’est le drame : bah oui, le bar en question ne se trouvant pas à Zautamauxime, chacun sait qu’on ne pourra logiquement pas y trouver un lapin ; ces derniers aussi xénophobes qu’un chroniqueur chez C News, ne s’aventurant en aucun cas à l’extérieur de leur village !
Sans se démonter, Tronsfar répond à ce scandale en arguant qu’une explication des plus plausibles justifie la présence de cette lapine en cette contrée lointaine… et écrit dans la foulée un Monsters lui étant tout spécialement dédié !
Ça sentirait pas un peu le « tome prétexte », c’t’histoire ? Hé bien, pas le moins du monde ! Si, en effet, l’histoire de « La bière supérieure » est des plus simples – suivre les pérégrinations d’une lapine courageuse prête à affronter mille et un dangers pour exporter la fameuse bière de Zautamauxime aux quatre coins de Terra Amata – ce tome s’avèrera à la fois un plaisir primaire pour les fans en délire, ravis de parcourir les lieux mythiques (Conchonville, Divinascorpus, Clérembard) et d’en découvrir de nouveaux (les basfonds malfamés de Poissonville !) aux côtés de la surprenante Bonnie ; mais également un opus très intéressants dans ses thèmes malheureusement très actuels lorsqu’il traite de racisme, du besoin parfois essentiel d’une main d’œuvre ou d’un savoir-faire étrangers… et d’un peuple parfois bien bas du front prompt à hurler « grand remplacement ! » alors qu’on leur évoque paisiblement « créolisation ? ».
On notera, de plus, le choix aussi étonnant que pertinent de confier les illustrations de ce Monsters à Bastien Quignon, un dessinateur au trait rond et doux que l’on a pu voir sur des séries jeunesse comme Sacha & Tomcrouze, qui s’adapte parfaitement au ton particulièrement noir de cet album ; l’un des plus violents de la séries dans lequel, au-delà des thèmes mentionnés ci-dessus, il ne sera pas rare de croiser des meurtres de sang-froid, des éviscérations, des gorges tranchées, et même des agressions sexuelles !
Alors, l’erreur est humaine, certes, mais si l’on nous offre systématiquement une telle rédemption, moi, j’ai envie de dire que « l’erreur est aubaine » !
La bière supérieure (Donjon Monsters, Tome 14), de Bastien Quignon, Joann Sfar & Lewis Trondheim (Ed. Delcourt).