Le festival Quai des Bulles fut une nouvelle fois une jolie occasion de se retrouver entre passionnés de bande dessinée, d’assister à de belles expositions autour du neuvième art, mais aussi de rencontrer des auteurs dans d’agréables conditions, et discuter tranquillement avec eux sur fond de mer et de ciel bleu…
…Aujourd’hui, nous vous proposons de revenir sur la rencontre entre Lulu (notre chère petite nouvelle au sein de la R-à-B) et l’excellent Pozla, auteur du non moins excellent Carnet de santé foireuse ou encore des génialement barrés Monkey Bizness.
Lulu : Pour commencer, parlons un peu BD : quelles sont tes influences ?
Pozla : Les influences sont très larges. Je pense à des auteurs comme Fred, Franquin, Maurice, ou Margerin que j’ai énormément lu. Gotlib également. En fait, toute la bande de Fluide Glacial de l’époque m’a beaucoup influencé, c’était assez large. J’ai eu aussi une rencontre avec Chauzy qui m’a beaucoup marqué quand j’avais 12 – 13 piges.
Et après, ça a été les Mignola, ou les Bernet avec Torpédo… Finalement, il y a beaucoup d’auteurs qui m’ont influencé !
Lulu : Mais plutôt dans l’humour, non ?
Pozla : Oui, peut-être, mais humour noir, alors ! Parce que Torpédo, c’est un truc assez grinçant, et Mignola, lui, a des histoires super noires, mais avec un graphisme juste à tomber. Je suis assez bon lecteur, mais j’aime bien découvrir des univers graphiques assez forts, ou des histoires qui sortent de l’ordinaire.
Lulu : Ce qui est le cas pour Carnet de santé foireuse, que tu représentes cette année à Quai de Bulles : un bel ouvrage, original et graphiquement très fort. Combien de temps as-tu mis pour le réaliser ?
Pozla : Le bouquin s’est fait en deux temps : il y a une première partie qui a été faite sur le vif, pendant les hospitalisations et au plus profond de la galère, et une deuxième partie – toute celle du récit – qui s’est faite deux ans après, où là, je me suis immergé pendant 15 mois pour aller jusqu’au bout… Il a fallu un peu de recul pour traiter tout ça, mais aussi pour monter le projet, trouver un éditeur qui serait intéressé.
Et il fallait ce temps de recul pour traiter cette histoire. Je n’aurais pas pu le faire de la même manière si j’avais enchaîné directement. Donc, il a fallu que ça s’apaise un peu et puis le projet a beaucoup évolué par rapport à ce que j’avais pensé en faire. Au départ, je voulais juste éditer le carnet tel quel, avec une petite mise en contexte et une petite présentation au début, et au final, mon intro’ a fait 50 pages… et donc ça y était : j’étais parti dans un récit de plus de 300 pages !
Lulu : A la fin tu fais référence à un mail de Manu Larcenet, il t’a conseillé sur ce carnet ? Vous avez travaillé ensemble ?
Pozla : On se connait depuis Monkey Bizness : il m’avait fait des retours dessus et on avait eu quelques échanges comme ça. Et pour ce bouquin, j’ai été amené à en discuter avec les éditions Les Rêveurs, et donc avec Nicolas Lebedel et Manu Larcenet. On a beaucoup parlé du bouquin ensemble, ils m’ont pas mal titillé, ont donc contribué à le faire avancer et à me faire poser les bonnes questions, je pense.
Et puis après Marion – éditrice chez Delcourt – a eu un gros coup de cœur, et ça s’est fait ensuite chez eux. Ils ont été hyper compréhensifs et ils m’ont poussé à me dire justement : « si Delcourt est prêt à sortir un bouquin comme ça, vas-y, n’hésite pas ! »
Lulu : Il est vrai qu’il n’est pas évident aujourd’hui d’arriver à convaincre les maisons d’éditions.
Pozla : Surtout sur un projet un peu hybride comme ça, qui mêle l’illustration, la BD, la vulgarisation médicale. Il y a plusieurs modes de narration dans ce bouquin. Ils ont fait un bon coup de poker.
Lulu : C’est très personnel comme récit. Comment ont réagi ton entourage et ta famille quand ils l’ont lu ? Ils se rendaient compte que tu souffrais autant ?
Pozla : J’ai eu beaucoup de retours d’amis ou de la famille qui ont un petit sentiment de culpabilité de ne pas avoir capté ce que je vivais à ce moment-là. A travers mes dessins, ils ont vécu une sorte de voyage introspectif dans ce que je vivais. Après, mon entourage tout proche savait, comme ma mère et surtout ma femme qui a suivi le processus du bouquin, elle était au plus profond avec moi quand ça n’allait pas.
Lulu : Lorsqu’on a un proche malade, on ne se rend pas toujours compte de ce qu’il vit. Et là, ça nous parle, c’est vraiment détaillé, on se rend compte de la galère de la maladie.
Pozla : J’étais très intéressé par traiter la douleur en dessin. La première impulsion, c’est ma gastro-entérologue qui me l’a donnée quand je lui ai montré mon carnet de dessins. J’ai capté en fait qu’il y avait une fenêtre sur ce que j’avais vécu, qu’elle n’avait pas eu avant. Quand elle l’a lu, elle m’a dit : « j’ai été très émue et j’ai aussi beaucoup ri en retrouvant des situations qu’on vit ici tous les jours à l’hôpital, et de les voir traitées de cette manière-là, ça fait prendre un peu de recul… c’est assez déconcertant, le fait de surligner ces passages ».
Lulu : Même elle ne voyait pas cette douleur ?
Pozla : Non ! Parce que la douleur c’est très subjectif, c’est difficile à doser de l’extérieur et ça fluctue selon l’état dans lequel on est. C’est donc très particulier ! C’est dur à gérer pour le patient, et c’est dur à doser pour le médecin. Et avec le dessin, j’avais un outil. C’est assez universel ! Un dessin peut représenter d’une manière assez éclatante un passage de douleur.
Lulu : Comme un outil de traduction de la douleur ?
Pozla : Voilà ! Tout en ayant des pointes d’humour. Mais c’est vrai qu’il y a un gros tabou sur la maladie en général, et alors là, la maladie de Crohn, qui touche le caca, imagine : un bon combo de tabou ! C’est assez touchant en signature, d’ailleurs, parce que j’ai brisé un peu les tabous et les gens se livrent tout de suite. Mais souvent, on me dit : « Putain, cette histoire de dingue que tu nous racontes ! » Malheureusement cette histoire, elle est d’une banalité affligeante : j’ai eu les outils pour la raconter, mais il y a des milliers de malades qui vivent des choses similaires, voire bien pires, et qui le cachent à leur famille ou qui le vivent tout seul dans leur coin.
J’espère que ce genre de témoignage pourra permettre à d’autres de prendre des raccourcis. Je trouve aberrant, avec la quantité de malades qu’il y a, de ne pas partager ces expériences-là. Ce tabou je le trouve couillon, surtout pour ça, car ça te fait porter un poids honteux, alors que bon, bah, c’est la vie… Et tu avances sans aucune visibilité, alors que des milliers d’autres l’ont vécu ! C’est un peu dommage.
Lulu : Les médecins devraient distribuer Carnet de Santé foireuse aux patients !
Pozla : Ce serait pas mal ! J’aurai aimé que ce soit diffusé dans le milieu médical. J’essaie de me renseigner pour que ce soit disponible dans certains services, mais on va voir, car ce n’est pas moi qui décide. Par contre, j’ai eu beaucoup de retours de médecins en ce sens parce que ça leur renvoie en pleine figure l’aberration de la situation, alors que c’est leur quotidien et leur normalité.
Lulu : C’est intéressant de savoir que ça ne touche pas que les patients, mais aussi le corps médical.
Pozla : Tout à fait. Alors après je ne vais pas changer le monde, hein, mais c’est vraiment un voyage introspectif dans la vie du malade. Et le point de vue du m alade, c’est un point de vue qu’ils n’ont jamais, à part avec leurs échelles de douleurs et leurs questionnaires types, mais c’est très compliqué – même pour un malade – d’exprimer la douleur juste avec des mots.
Lulu : Mais tu as bien réussi ! Et ça a eu du succès !
Pozla : Merci. C’est vrai qu’il y a un très bon retour de la presse et des confrères de la BD, et ça fait plaisir. Ça me soulage parce que je me fous quand même pas mal à poil dans le bouquin, et je me chiais dessus quand il est sorti ! [rires]
D’autant que je n’avais pas vraiment choisi de le faire, il s’est imposé ! Je l’ai fait avant tout pour moi et je savais que ça pouvait être utile à d’autres par la suite.
Lulu : Au départ c’était plutôt une échappatoire ?
Pozla : Un exutoire même ! Dans un premier temps, c’était même un truc méditatif par rapport à la douleur, qui me permettait de m’échapper de mon corps. Et ensuite, je suis passé dans une thérapie plus profonde pour chercher un peu ce qui s’était passé, pour se replonger dedans et re-digérer, re-disséquer tout ce qui m’était arrivé pour vivre en paix avec.
Lulu : Et quand tu as su que tu allais le publier, tu t’es censuré sur certaines choses ?
Pozla : Quand j’ai su que j’allais en faire quelques chose, j’ai arrêté de dessiner dans le carnet original, ça ne matchait plus pour moi, c’était corrompu, tu vois ?!
Et quand je me suis posée posé un moment la question d’aborder ou non la sexualité, et c’est là où ma femme a dit : « bon écoute là, on se met déjà bien à nu, donc si on pouvait mettre ce point de côté, ça m’irait. »
Lulu : Oui, je comprends… alors respectons madame, et changeons de sujet ! Avant la BD, tu as travaillé dans l’animation : c’est un domaine très différent, j’imagine ? Est-ce que tu n’es pas plus libre dans la BD ?
Pozla : Je fais toujours de l’animation : je jongle entre les deux milieux, en fait. Je me suis re-dirigé vers la BD pour réaliser mes propres projets. Mes projets d’auteurs, maintenant, je les traite en BD, parce que dans l’animation, c’est beaucoup plus compliqué de monter des projets : il faut que ce soit plus « mainstream », le producteur a son mot à dire, il y a plus d’argent en jeu, il y a des grosses équipes, on a moins la maîtrise sur le travail et le produit final… Il y a énormément de contraintes dans l’animation qui font que, de mon point de vue, quand on a des histoires à raconter, c’est plus accessible de les finaliser en BD.
Lulu : C’est donc dans cette optique que tu en es venu à la BD ? Ou peut-être ta rencontre avec ElDiablo y a-t-elle participée ?
Pozla : Oh non, on se connaissait bien avant, quand j’étais encore à l’école ! C’était un intervenant, on a accroché tout de suite, et on a commencé à faire des trucs comme une petite série flash, des clips… On a donc pas mal bossé ensemble avant Les Lascars, puis sur Les Lascars eux-mêmes.
Pour moi, la BD c’est une première passion qui est toujours restée ! Et sur Les Lascars, bien que ce soit une série adulte, on s’était senti un peu bridés, donc on a fait Monkey Bizness pour s’éclater, pouvoir se lâcher complètement. On avait besoin d’une totale liberté, comme ça, et de faire un truc qu’on avait envie d’avoir dans notre bibliothèque !
Lulu : Une liberté que vous ne trouviez pas dans l’animation : impossible de faire un Monkey Bizness en animation, donc ?
Pozla : Ça aurait été sympa, mais impossible à monter avec des singes qui se bourrent la gueule, qui frappent des putes et qui fument des gros cigares ! [rires]
Il aurait fallu édulcorer le propos, faire de la demi-mesure… et ce n’était pas du tout le principe !
Lulu : Pas déçu que ce soit resté sur le papier, donc !
Pozla : Ah non, encore une fois : la BD, c’est vraiment ma première passion ! Quand j’étais petit, déjà, je voulais faire de la BD. Après, j’ai découvert l’animation. C’était une voie où il y avait moyen de gagner sa vie, et surtout : ça m’a passionné… ça m’a carrément passionné !
Je me suis donc engagé dans cette voie-là, en mettant la BD un peu de côté, mais j’y suis revenu assez rapidement. La BD a un mode de narration qui me va assez bien, et je suis à l’aise là-dedans.
Dans l’animation, il y a un travail très laborieux, très technique. Alors que dans la BD, tu ponds un dessin et c’est celui-là qui sera vu, publié. Ce que je veux dire par là, c’est qu’il y a un lien à travers le dessin : tu retrouves un contact, chaque dessin est utile… Alors que dans l’animation, ton dessin compte peu, finalement.
Lulu : A ce point-là ?
Pozla : Oui, en tant qu’en animateur, ton dessin passe en 1/25ème de seconde !
Après, c’est autre chose qui rentre en jeu, mais le dessin a une autre importance, une importance moindre car à côté, il y a le mouvement, la mise en scène, le son… Alors qu’en BD, le dessin revient sur le devant de la scène.
Lulu : Tu as des projets dans l’animation, en ce moment ?
Pozla : Il y a des choses, mais je ne sais pas si je peux en parler… allez : on a été contacté pour adapter Monkey Bizness !
Lulu : Sans censure ?!
Pozla : Oui, mais je pense qu’on fera quelque chose qui n’est pas vraiment de l’animation… Mais ce sont vraiment les prémices, donc c’est délicat d’en parler en interview. En tout cas, j’ai pas mal de pistes pour travailler dans l’animation.
Lulu : Et tes projets en BD ?
Pozla : Là, je suis sur le troisième et dernier opus de Monkey Bizness, que j’avais décalé en fait pour faire « Carnet de santé foireuse ». Il fallait le faire maintenant, et Run [responsable du label 619, NDLR] a été assez compréhensif là-dessus. Donc, je termine la trilogie Monkey Bizness, et ensuite, des projets, il y en a plein les tiroirs ! Il faut que je prenne le temps de me pencher dessus et de les développer, mais c’est sûr que je ne m’arrêterai pas là !
Lulu : Bonne nouvelle, alors ! Et que peut-on te souhaiter pout la suite ?
Pozla : De ne pas faire de tome 2 pour Carnet de santé foireuse ! [rires]
Lulu : Même si on a beaucoup aimé le livre, c’est tout le mal qu’on te souhaite !
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