Ha, ils sont beaux les mafieux des films de Scorsese, avec leurs costards de luxe tirés à quatre épingles, arborant les armes de « la Famille » sur de grosses chevalières en or, comptant d’énormissimes liasses de dollars dans la cuisine qui fleure bon la salsa de pomodoro d’une typique pizzeria de Little Italy, bercés par un rythme de mandoline tout droit importé de leur douce Sicile natale…
Seulement, ce génie de réalisateur ne nous propose-t-il pas là une image un poil romancée – à la limite du glamour, parfois – d’une réalité beaucoup plus âpre et rude ?
En choisissant de nous conter l’histoire d’Italo Serpio, les auteurs nous exposent en ces pages une vision beaucoup moins clinquante de cette fameuse époque.
Immigré italien (sur)vivant dans la misère du Boston des années 20, Italo habite un minable appartement dans les bas-fonds de la ville, se fait quelques billets en exécutant les basses tâches du « capo » local, se laisse embarquer par des utopistes désireux de détruire le système capitaliste, supporte les attaques racistes verbales comme physiques dont sont victimes les italiens, se retrouve avec nièce et neveu sur les bras après que son frangin ait été assassiné pour d’obscures raisons.
De là, nous voilà entrainés dans une sombre histoire naviguant sans cesse entre roman noir de gangsters et polar politique, où tant les mafieux que les groupuscules anarchistes n’ont rien à envier aux officiels niveau magouilles et méthodes expéditives. Un récit violent et sans concession auquel le trait de Settimo sied à ravir, acéré et incisif, perdant parfois légèrement en lisibilité de par son aspect brut et dépouillé, mais jamais en spontanéité et en rage.
De plus, au-delà de l’histoire principale, les auteurs nous proposent également un véritable instantané d’une époque, doublé d’une critique sociale bien sentie pointant les difficultés d’intégration auxquelles furent alors confrontés les nouveaux arrivants sur le sol américain.
Un album abrupt mais captivant, original et intelligent, évitant habilement tout manichéisme en explorant au mieux les personnalités des nombreux acteurs de tous bords impliqués dans cet hallucinant imbroglio.
The Corner, Lorenzo Palloni & Andrea Settimo (ed. Sarbacane).