Depuis quelques années, Maurice Tillieux revient en force dans les librairies. Après des intégrales Gil Jourdan de grande qualité, les éditions Dupuis ont décidé de reprendre les mêmes recettes pour une série mineure : César et Ernestine. On y retrouve le même principe de maquette très élégante choisi pour les séries patrimoniales, une préface de José-Louis Bocquet qui confirme ici sa connaissance de l’œuvre de Tillieux, et une publication chronologique et exhaustive de la série. L’éditeur a fait le choix d’un seul gros volume réunissant tous les gags, une idée sans doute mue par le potentiel commercial relativement limité mais qui est loin d’être un mauvais choix. Le pavé se savoure de toute manière en grappillant, comme tout recueil de gags, et ce côté mastodonte lui donne un aspect sympathique et appétissant.
César et Ernestine est une série de gags familiaux, et à ce titre l’œuvre la plus grand public de son auteur. Pourtant elle est dévolue à rester dans l’ombre de Gil Jourdan. C’est normal puisque, malgré le nombre de planches qu’elle représente, la série n’a pas la force des longs récits de Tillieux. En outre, s’il fait ici preuve d’un vrai talent de professionnel du gag, il n’y innove pas comme il le fera dans le champ de l’aventure humoristique.
Et pourtant, César n’est pas n’importe quelle série familiale. À la différence d’un Boule et Bill, il n’y a pas ici de belle petite famille. Si César élève bien deux enfants, ce sont ceux de ses voisins, qu’il surveille à longueur de temps, va chercher à l’école, garde, etc. Mettre en scène un homme mûr célibataire n’était pas fréquent, et des parents aussi négligents que les parents d’Ernest et Ernestine – le père est pourtant policier et à ce titre garant d’une certaine morale – non plus. Ajoutez à cela que César est dessinateur de Bandes Dessinées et c’en est fini de la bienséance ! N’exagérons rien, et même avec cette lecture et quelques gags plus aiguisés que la plupart de ceux de ses collègues, César et Ernestine n’a rien d’une série subversive. Mais elle fait montre du talent multiple d’un dessinateur se considérant comme un artisan, capable d’aligner chaque semaine un grand nombre de gags sans jamais les rater. Comme il le disait lui même, parfois le métier supplée aux idées, et quand cela arrive on constate qu’il s’agit de quelqu’un qui en maîtrise toutes les ficelles.
César est une lecture bienvenue, toujours agréable, et pour tout public. Malheureusement la méconnaissance de la série – due plus à son inscription dans un style classique, sans chercher à le rénover, qu’à une qualité défaillante – risque d’en réserver la lecture à quelques connaisseurs. L’objet est là, il manquait, tâchons désormais de le faire découvrir et de l’empêcher de s’enfermer dans un destin le privant de son public naturel : monsieur tout le monde et ses enfants.
César, l’Intégrale, de Maurice Tillieux (ed. Dupuis).