Lorsqu’on se laisse aller à la conclusion facile teintée de cynisme, on associe les obèses aux gros ricains de base qui se gavent de Mac Do’… ce qui n’est pas que faux… mais pas tout à fait vrai non plus : l’obésité est un problème bien plus large, une véritable maladie à l’échelle mondiale, touchant les pays riches comme les plus pauvres.
Et il me semble primordial d’insister sur le mot maladie : souvent, les personnes obèses se retrouvent victime de condescendance, de jugement primaire ; « il ne fait aucun effort sur son poids », « elle devrait faire attention à ce qu’elle mange », etc. Pourtant, dans la plupart des cas, leur souci se situe malheureusement bien au-dessus de la volonté, révélant de la véritable addiction, la nourriture agissant sur eux comme une véritable drogue dont ils ne peuvent se passer.
Afin de lutter contre ces préjugés, mais aussi et surtout d’informer le plus grand nombre et aider les personnes concernées, Emilie Gleason et Arthur Croque publient aujourd’hui Junk Food, une BD au sujet de cette addiction. Une BD basée sur des enquêtes sociologiques, des études scientifiques et divers témoignages, mais s’éloignant néanmoins des BD-reportages classiques – pouvant rebuter par leur aspect rébarbatif et grave – pour un album scénarisé, mettant en scène un personnage fictif et son histoire. Ainsi, c’est via le regard de Zazou, une jeune anorexique de 24 ans, que nous découvrirons la dure vie des accrocs à la bouffe, leurs périodes de « binge » durant lesquelles ils engouffrent des quantités de nourriture hallucinantes sans aucun moyen de se contrôler, les phases de manque aussi violentes que celles des toxicomanes qu’ils subissent lorsqu’ils tentent un sevrage, le regard sur soi si difficile à assumer qu’ils proviennent d’inconnus, de son entourage, de son conjoint ou même de son propre miroir, les outils à disposition pour se faire diagnostiquer et les solutions qui existent pour se soigner, l’aide que l’on peut trouver auprès de Food Addicts, sorte de réunions d’Alcooliques Anonymes plus enclins à la baffre qu’à la picole. Ce choix judicieux permettra d’aborder ces sujets complexes et des données ô combien sérieuses via cette petite nénette au tempérament de feu, et ainsi d’y insuffler une bonne dose d’humour et d’humanité, dans un habile mélange de cynisme et de légèreté.
Un décalage encore plus appuyé par le visuel totalement fou d’Emilie Gleason, celle-ci n’hésitant pas un instant à exploser les proportions pour infliger à ses perso’ les corps totalement difformes qu’ils pensent se trimballer, les recouvrir de couleurs totalement criardes et funky, et les mettre en scène dans des positions et postures tellement folles qu’on pourrait croire qu’ils mènent un ballet… on les entendrait presque chanter !
Finalement, loin d’une énième et austère BD-reportage, les auteurs nous livrent ici une sorte de comédie musicale dessinée qui instruit et qui décoiffe, où la folie et l’absurde rivalisent avec la dureté du sujet et le factuel qu’il impose.
Junk food, d’Emilie Gleason & Arthur Croque (Ed. Casterman)