Première page : le désert, ambiance Grand Canyon et far west. Trois bandits planqués derrière un rocher préparent une embuscade. La cible de leur méfait débarque et leur troue la couenne avant même qu’ils n’aient pu esquisser le moindre geste ni lâcher le moindre mot. BIM ! Le voilà, le Shaolin Cowboy, dans toute sa splendeur ! Contre-plongée, posture héroïque, un vieux sage chinois arborant une chemise à la John Wayne, une paire Converse rouges, et une casquette vissée sur le crâne, chevauchant une mule coiffée d’une jolie visière en plastique vert fluo’ ! Après un monologue de la mule aussi bavarde que son cavalier est taciturne, débarquent alors mille et un adversaires avides de vengeance, prêt à en découdre avec le Shaolin Cowboy… et présentés façon frise s’étalant sur 4 putain de doubles pages consécutives !
Et puis, ils se battent.
Et puis, ils se battent encore.
Et encore.
Et encore.
Alors, oui, amis férus de scénarios bien léchés, d’œuvres profondes et de messages forts, sûrement serez-vous décontenancés par cet épais bouquin où l’histoire se résume en quelques lignes à peine, mais alors visuellement : « waouh ! », si j’ose dire ! Une fois accepté le côté absurde et improbable de cet étrange mixe entre Mad Max, les films de Bruce Lee et ceux de George Romero, où un vieil asiat’ bedonnant maniant aussi bien le sabre que le flingue dézinguera à grands coups de tatanes des truands, des bikers, des requins, des squelettes, des monstres ou même un crabe fâché qu’il se fût sustenté de sa famille ; alors là – BIM ! – vous en prendrez plein les yeux ! D’un trait s’avouant ouvertement inspiré du génial Moebius, hyper-lisible et précis, à l’élégance folle ; Geof Darrow enchaînera les pages toutes aussi sublimes les unes que les autres, avec un sens du découpage et du mouvement époustouflant qui vous balancera au cœur de la baston, et un soin du détail hallucinant tant sur les décors grandioses que sur les innombrables clins d’œil et références qui pullulent…
…autant que les corps jonchant le chemin du héros : sur certaines doubles pages de fureur et de folie, on se croirait parfois devant une sorte de « Où est Charlie » macabre où l’on passe de longs moments à scruter l’image afin de dénicher le seul être vivant parmi un champ de cadavres flottant sur un océan d’hémoglobine !
Pourtant, notons tout de même que derrière cet énorme trip visuel qui scotche la rétine et au premier degré jubilatoire, tout ne se révélera finalement pas si gratuit et dénué de sens ! Derrière les nombreux détails sus-cités ou au long des tirades remplies d’humour cynique, Geof Darrow ne manquera pas d’égratigner Trump, la NRA et bien d’autres travers de ces USA qui partent carrément en vrille ces derniers temps !
Alors, prêts pour un rodéo épique aux côtés du Shaolin Cowboy ?!
* Shaolin Cowboy, de Geof Darrow (Ed. Futuropolis)