Clara est une artiste. En tant que photographe, elle pourrait (devrait ?) avoir cette capacité à observer le monde qui l’entoure ; pourtant, s’il y a bien une chose qu’elle regarde, c’est son nombril. Ce qui au final l’arrange bien, car en se focalisant sur son nombril plutôt que sur notre monde, elle évite tranquillement d’être confrontée à une réalité un peu trop cruelle et violente à ses yeux. De là à dire que le monde la fait carrément fliper, il n’y a qu’un pas.
Axelle bosse dans le social. La dure réalité, elle, elle la connait bien : elle y est confrontée tous les jours. Elle aimerait bien faire plus pour ces jeunes défavorisés dont elle s’occupe, mais faut se l’avouer : elle a beau se démener, la tâche n’est pas aisée dans ce monde cruel et violent. Mais Axelle est une battante, alors au lieu de baisser les bras, elle se retrousse les manches et part au combat armée d’une hargne (rage ?) hallucinante. De là à dire que le monde la vénère, il n’y a qu’un pas.
Clara et Axelle sont sœurs. Deux sœurs que tout oppose, alors forcément, elle ne se fréquentent pas trop : la gentillette Clara énerve Axelle, et Clara flipe de se faire engueuler par la méchante Axelle. Entre Flipette et Vénère, les relations sont on ne peut plus tendues, pourtant, quand Axelle se pète une jambe en tombant de scooter, Clara prend son courage à deux mains et monte à la ville pour s’occuper de sa sœur. Axelle est très vite saoulée par cette situation, mais, clouée dans son fauteuil, elle n’a pas trop d’autres choix que d’accepter l’aide de sa sœur et de lui faire une petite place dans sa vie.
Un tel postulat de base pourrait laisser craindre un traitement manichéen opposant facilement la pauvre artiste paumée et en total décalage face à la frangine courageusement combative et engagée – impression d’autant plus appuyée par ces faciès outrageusement expressifs semblant directement tirés d’une tragédie grecque ou ces aplats aux couleurs flashies et hyper-tranchées – ; mais heureusement, Lucrèce Andreae saura faire preuve d’une jolie subtilité et écrira des personnages tout en nuances, jouant avec leur forces et leurs faiblesses… s’amusant à faire de leur force une faiblesse, de leur faiblesse une force.
Deux beaux portraits de femmes, une touchante chronique familiale, un regard avisé sur la jeunesse d’aujourd’hui… ou juste une jolie histoire, une tranche de vie à la fois complexe et si simple, incisive et si tendre, intime autant que générationnelle.
* Flipette et Vénère, de Lucrèce Andrae (Ed. Delcourt).