Une ville abandonnée, désertée, dévastée… Guerre ? Catastrophe écologique ? Accident nucléaire, peut-être ? A part un semblant de début de piste des plus furtifs via un titre d’article que lit un « figurant » au second plan, aucune info’ ne nous sera donnée sur la cause de cette désertion.
Une cité de banlieue aux murs tagués, des routes de campagne en lacets, des lacs et des montagnes bordés de forêts de pins, des « resto-routes » aux airs de « dinners » de la route 66, des enseignes dans la langue de Molière… La France ? Les USA ? Un pays imaginaire, peut-être ? Malgré ces maigres indices que nous pourrions essayer de trouver ici et là, aucune info’ ne nous sera données sur le pays où se déroule cette histoire.
Des immeubles contemporains, une Renault 5 et une Citroën DS d’antan… aucune info’ sur l’époque.
Deux gars qui quittent la ville à bord d’un tractopelle, un gars qu’ils écrasent sur leur route, un autre qui leur donne de l’argent pour les récompenser de leur meurtre accidentel, le même gars qui leur propose plus d’argent pour buter une ordure qui enlève et torture les animaux des environs… aucune info’ sur leur identité ni leur passé ou leurs intentions.
« Hé beh, pas beaucoup d’info’ ! », me direz-vous.
« Pas besoin ! », vous répondrai-je.
Car l’intérêt de cet album ne réside pas dans une histoire au long cours, nul besoin d’en savoir plus sur ses perso’ – qui sont-ils ? d’où viennent-ils ? où vont-ils ? – ni sur le pays ou l’époque ravagés qu’ils traversent : ce qu’on a ici, c’est un instantané. Et à travers l’histoire de ces deux lascars à un instant « T », sans aucun contexte autour, l’auteur pourra traiter sans aucun préjugé ni manichéisme des choix que l’on devrait et/ou pourrait faire pour survivre, de la bestialité dont nous pouvons être capable, de la folie humaine qui réside peut-être en chacun de nous…
En ne connaissant rien des personnages principaux de cette histoire (je me refuse d’écrire « des héros de cette histoire »), de leur condition, de leur caractère réel ou de leur volonté profonde, on ne sait jamais vraiment que penser de leurs actes… et l’auteur, optant pour un premier degré radical, n’essayera jamais de nous pousser en un sens ou un autre : à nous de réfléchir, de peser le pour et le contre, de délimiter la fine frontière entre le bien et le mal !
Au niveau graphique, la cohérence est assurée via un choix tout aussi radical : un noir et blanc strict et tranchant, des dessins aux rondeurs tentaculaires qui se répandent et envahissent littéralement les cases, surchargés d’une multitude de hachures écrasantes et oppressantes servant idéalement cette ambiance étouffante de fin du monde.
Une sorte de road-movie post-apocalyptique violent, ou plutôt un bout de chemin bref et brutal, comme si l’on avait été pris en stop par ces drôles d’oiseaux, et qu’après nous avoir remués dans tous les sens, ils nous assénaient un bon poing dans la gueule et nous plantaient connement sur le bord de la route… sonnés, mais avec enfin le temps nécessaire pour encaisser et se remémorer ce qu’on vient de vivre !
* Ciao Bitume, de Thomas Verhille (Ed. 6 Pieds Sous Terre)