Affirmer qu’à la Rubirque-à-Barc nous sommes envoutés par le travail de Carole Maurel serait un doux euphémisme. Déjà totalement sous le charme de l’Apocalypse selon Magda et de Luisa, Ici et là, nous ne pouvions qu’être ravis par la sortie quasi-simultanée de deux albums illustrés par ses pinceaux enchantés.
De ce postulat, c’est sans plus chercher quel en était le sujet que nous nous sommes littéralement jetés sur ces deux titres ; j’oserais presque un « les yeux fermés » si ladite fermeture d’yeux n’impliquait pas de passer à côté de la maestria graphique proposée en ces pages !
Oui, oui : maestria. Et le mot n’est en rien exagéré. Carole Maurel fait une nouvel fois preuve d’un talent d’illustration époustouflant ; le moindre de ses traits, touché par la grâce, nous emporte, nous touche, nous bouleverse au plus profond. Qu’elle représente une jeune-fille qui se balade à vélo dans le Paris occupé des années 40, et vous sentirez la joie, l’insouciance et la légèreté qu’elle éprouve en ses temps pourtant des plus troubles… Qu’elle dessine une femme debout sur une barque au milieu d’un océan, et vous encaisserez de plein fouet les peines et souffrances qui la submergent, l’étouffent et l’oppressent suite à la perte d’un enfant…
Il faut bien avouer que sa maîtrise des couleurs – voire de l’absence de couleurs – ajoute encore à la sensibilité et aux émotions provoquées par les images : les teintes sépia de Collaboration Horizontale vous transportent littéralement dans le temps, alors qu’Ecumes nous gratifie d’une alternance de teintes pastelles et de noir et blanc (noir « au » blanc, devrais-je écrire, tant sa palette de gris est large et nuancée) en fonction de l’état émotionnel des personnages.
Bon, il est vrai qu’en lisant « Paris occupé des années 40 » et « perte d’un enfant », vous ne vous imaginez pas des albums forcément très gais ou légers, aussi beau soient-ils, et pourtant, jamais ils ne vous paraîtront plombant ou déprimant, car en plus de la maestria graphique sus-citée, je me dois de préciser que les mots ne sont pas en reste.
Lorsque Navie se penche sur l’occupation allemande, elle ne s’acharne pas à vous ressasser les horreurs des heures les plus sombres de notre Histoire, mais s’efforcera au contraire d’y insuffler quelque chose de profondément humain en se concentrant sur les habitants d’un immeuble et leur quotidien. Ainsi, nous suivrons la belle et dévouée Rose, dont le mari est retenu prisonnier par les allemands, mais qui elle-même tombe éperdument amoureuse d’un bel officier Allemand. Officier qui contredira les ordres de ses supérieurs pour l’amour de Rose, même s’il reste persuadé que les malheurs de sa famille et de sa patrie sont en grande partie dûs à la France et aux Juifs. Aux juifs, comme cette femme qui ne sera pas déportée grâce à l’intervention de Rose, mais qui ne manquera pas d’insister sur son insouciance et sa coquetterie trop suspectes à son goût en compagnie de Judith. Judith, mariée à ce gendarme de Léon qui ne manque pas de lui mettre une rouste quand il ne fait pas de l’œil à Rose ni ne s’adonne aux plaisirs de la chair tarifés. Plaisirs tarifés, comme ceux que dispense Joséphine à bien des hommes alors qu’aucun n’a jamais su l’aimer à sa juste valeur. De l’amour, pourtant, la jeune Simone serait prête à lui en donner bien plus qu’elle n’en espérerait jamais… mais encore faut-il pouvoir avouer ce lourd secret, alors que ses cheveux court et ses pantalons rendent déjà suffisamment folle sa mère, Judith. Ceci-dit, s’il n’y avait que son côté garçon manqué qui énervait sa mère, concierge acariâtre de cet immeuble où gravite tout ce petit monde et bien plus encore.
Une belle série de portraits, méticuleusement écrits, qui permet de traiter de l’époque et de ses affres sans aucun manichéisme au travers des yeux – et du cœur – de ces personnes qui pourraient finalement être vous ou moi.
Pour Ecumes, c’est un sujet tout personnel auquel s’attaque Ingrid Chabbert, relatant l’éprouvante épreuve traversée par son couple, quand, après d’innombrables difficultés, elle parvient enfin à procréer un enfant… et le perd dans d’affreuses conditions, avant même sa naissance.
Un sujet grave et lourd, donc, mais que l’auteure traitera avec une finesse, une simplicité et une sincérité que n’égale que l’intensité de son récit, évitant ainsi tout pathos et putasserie tire-larme pour mieux nous émouvoir, nous toucher au cœur, serrer nos tripes et embuer nos yeux… de peine, de compassion, mais aussi d’espoir et d’amour.
Tout d’abord attirés par l’art envoutant de Carole Maurel, c’est donc deux magnifiques albums que nous découvrons au final ; intenses, poignants, et totalement maitrisés sur le fond comme sur la forme…
…bravo mesdames !
* Collaboration horizontale, de Carole Maurel & Navie (ed. Delcourt)
* Ecumes, de Carole Maurel et Ingrid Chabbert (ed. Steinkis)
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