Dans le cadre de l’opération qui célèbre les 11 ans des éditions Warum/Vraoum en permettant au lecteur de redécouvrir les grands titres qui ayant fait les belles heures – et la fierté – de la maison, les rééditions se suivent et ne se ressemblent pas…
…ceci dit, qu’est-ce qui pourrait ressembler à La Casa, album inclassable dans des petites cases, bien que son principal sujet en soit, justement, la case ?
Tout droit dans l’inspiration des grands noms de l’OuBaPo, La Casa s’empare du médium de la bande dessinée, le triture et l’épure pour en ressortir ce qui en est peut-être la base : la case. Une case – des cases ? « LA » case ? – avec laquelle il s’amuse et jongle, la retournant en tous sens, l’étirant, la rapetissant, la faisant même parfois disparaître… pour mieux la faire réapparaître comme l’élément central de la page suivante, trou béant ou objet plein, cadre solide dans lequel le personnage se retrouve en sécurité ou étouffe d’être coupé du monde extérieur hors-cadre… ou hors-case, c’est selon.
Et pourtant, loin de n’être qu’un (pas si) simple exercice de style qui pourrait sembler dénué d’âme ou répétitif au fil des pages (ou des cases, c’est selon), La Casa saura nous embarquer dans une histoire à la fois drôle et prenante en remettant constamment en scène les mêmes personnages que l’on croirait au prime abord à usage unique, et créant alors un malicieux dialogue où chaque saynète répond à l’historiette précédente – ou chaque historiette introduit la saynète suivante, c’est selon – pour expliquer finalement cet élément un peu isolé que l’on n’avait pas forcément bien appréhendé à la première lecture et former finalement un grand tout aussi cohérent qu’impressionnant de maîtrise et d’intelligence… un grand tout à lire dans un sens, puis dans l’autre une fois compris et assimilé que le début est en fait la fin mais que par contre la fin n’est pas une finalité puisqu’au contraire elle se réfère au début qui n’est donc plus la fin… une boucle infinie, quoi ?!
Infinie comme la phrase précédente écrite par votre pauvre serviteur qui, en tenant de décrire un livre indescriptible, se retrouve tout bonnement… avec une case en moins !
Transition facile, rebondissons sur la case en moins pour enchainer sur le trouble mental… et se pencher alors sur Goupil ou face, autre livre Vraoum paru dernièrement, où la jeune Lou Lubie nous parle de sa cyclothymie.
Ha ! Je vous vois déjà fuyant ventre à terre face à un livre au sujet si peu enjaillant !
Et pourtant, quelle erreur vous feriez en passant à côté de ce joli bouquin… je le sais bien : j’ai fait la même !
A la lecture du résumé – « une bande dessinée qui retrace la rencontre entre Lou et sa bipolarité » – j’avoue avoir craint une bédé pesante et plombante où l’auteure nous raconterait ses innombrables rendez-vous chez des psy’ en tout genre, ses phases de dépression la menant au bord du gouffre, ou encore les problèmes découlant de sa maladie pour gérer au mieux sa vie de tous les jours – amoureuse, professionnelle, familiale… Ceci sans oublier d’intercaler par-ci par-là les explications psycho-scientifiques et les chiffres statistiques relatant de quoi il en retourne réellement de la cyclothymie.
Hé bien, croyez-moi ou non : c’est tout à fait de ça dont il s’agit… et pourtant, j’ai adoré !
Adoré car Lou Lubie a une vraie et belle personnalité, et que ça transpire de chaque page de cet album, tant sur le fond que sur la forme.
Déjà, au premier regard, on est charmé par son trait, frais et dynamique, qui contraste fortement avec le sujet et lui insuffle toute la légèreté et la chaleur nécessaire. Légèreté et chaleur encore appuyée par ces jolies touches d’orange qui apporte pile ce qu’il faut de couleur à la douce bichromie appliquée au dessin.
Une belle personnalité qui se confirme ensuite lorsqu’on se penche sur les mots : Lou se met à nue et parle sans détours de sa maladie, mais ceci, toujours avec une telle sensibilité, un tel recul et même une certaine dose d’humour, qu’on ne peut que se sentir concerné, amusé, et finalement profondément touché par ce petit bout de nénette.
De plus, si Lou joue sur les émotions – sans jamais tomber dans le pathos de bas étage – elle sait également s’appuyer sur un background bien solide – constitué de réelles études scientifiques et de faits avérés et prouvés – pour mieux nous expliquer les causes et fonctionnements de ce trouble encore trop méconnu… et de fait, bien souvent mal diagnostiqué.
Goupil ou face s’avérera donc être un livre à la fois touchant, drôle et extrêmement intéressant, pile entre la biographie et les livres de vulgarisation scientifique à l’image de ceux de Marion Montaigne ou de Daryl Cunningham.
Deux bouquins forts, originaux et ambitieux, qui nous prouvent qu’hier comme aujourd’hui les éditons Warum/Vraoum furent, sont et resteront une maison bien à part… et à suivre de très près.
* La Casa, de Victor Hussenot (Ed. Warum).
* Goupil ou face, de Lou Lubie (ed. Vraoum).
* Je le veux ? Je clique ! : Goupil ou face – La Casa