– Les Spectaculaires (Hautière & Poitevin) / The time before (Bonin) –

A l ‘heure où les blockbusters boostés aux effets numériques monopolisent le divertissement tout type de médias confondus, c’est avec un traitement tout-à-fait « à l’ancienne » – et donc des plus originaux – que deux albums parus dernièrement se frottent à des sujets pourtant bien enclins à sombrer dans la SF grandiloquente.

Le premier s’intitule Les spectaculaire et s’empare du thème très en vogue du super-héros… pour le transposer au début du XXème siècle.
Ainsi, au lieu de sauver New York à grands coups de laser et de vendre du pop-corn à grands coups de punchlines pompeuses, ces Avengers old school officient dans le Paname de la Belle Epoque et nous ravissent par leur argot fleuri et délicieusement d’un autre temps. Pour pousser encore la comparaison, on pourrait avancer que leur version d’Iron Man tient plus du scaphandrier que du millionnaire à l’armure high tech, que leur Wolverine arbore ses griffes au bout de 3 vieux ressorts, et que leur Veuve Noire se révèle être une « titi parisienne » adepte de la savate plus qu’une super-espionne post-guerre froide ! D’ailleurs, plutôt que de recruter au sein de l’élite de l’armée ou des services secrets, leur « cerveau » composera sa petite super-équipe en trainant à la sortie d’un cirque !
Et si le fond s’avère relativement classique, ces Spectaculaires n’ont rien à envier à leur compères marvéliens tant leurs aventures au charme d’antan sont écrites et dialoguées avec verve et humour par un Régis Hautière en grande forme, illustrées d’un trait à la fois dynamique et fluide pour les scènes d’actions et plein de détails lorsqu’il s’agit d’illustrer le Paris d’autrefois, et joliment mises en couleurs grâce aux douces nuances de la palette de Christophe Bouchard.
Une belle et originale genèse super-héroïque qui ouvre la voie à de nombreuses et magnifiques aventures !

Autre sujet usé et abusé en science-fiction : le voyage dans le temps. Et une nouvelle fois, traitement à contre-pied du meilleur effet via le réjouissant The time before, de Cyril Bonin.
Ici, point de DeLorean volante carburant au plutonium ou de métropoles futuristes aux gratte-ciels grattant littéralement le ciel, l’action prenant lieu dans le New York des années 60, et les voyages dans le temps s’effectuant grâce à un vieux talisman aussi magique que mystique. Voyages dans le temps qui ne s’effectuent qui plus est que dans le passé, et sur des durées très relatives, la date limite à laquelle le héros pourra revenir étant celle à laquelle on lui aura transmis ledit talisman.
Et pourtant, malgré ces laps de temps relativement courts, une foule de changements et de retournements de situations peuvent subvenir à chaque retour en arrière : ne serait-ce que quelques minutes permettent, par exemple, de revivre et profiter encore et encore de ce langoureux baiser à une femme interdite… sans avoir à en subir les conséquences !
Seulement, n’est-ce pas jouer avec le feu que de choisir son futur en fonction de ses envies présentes ? Cette décision que l’on prend à légère, là, maintenant, à l’instant « T » et sans vraiment y réfléchir, peut-on être sûr qu’elle ne chamboulera pas toute notre vie future ?
Hé oui : la fameuse rupture du continuum espace/temps !
En faisant fi de l’approche classique et pleine d’esbroufe du thème, Cyril Bonin nous offre un récit subtil et tout en nuances, tant d’un point de vue scénaristique – où il aborde des questions sur la vie telle qu’on la rêve, telle qu’on la vit, et telle qu’on l’accepte – que sur le plan graphique où son trait élégant et classieux fait des merveilles pour restaurer l’ambiance de l’époque aussi bien que pour traduire les émotions sur les visages de ses personnages.

Deux beaux albums qui par un contre-pied des plus réussis s’attaquent à des thèmes vus et revus (lus et relus ?) pour leur apporter à la fois un regard neuf et un charme suranné profondément agréable et frais.

* Les spectaculaires, de Régis Hautière & Arnaud Poitevin (ed. Rue de Sèvres).
* The time before, de Cyril Bonin (ed. Grand Angle).