La bande pas dessinée, tout d’abord, c’est un concept : faire de la bande dessinée, heu… bah… pas dessinée, quoi !
Pas de dessin, donc, juste des cases, avec des bulles dedans… et du texte encore en dedans… et autour aussi, tiens ! Parce que, attention : c’est pas parce qu’il a rien à montrer, le gars, qu’il a rien à dire, hein ?!
D’ailleurs, pour le « à dire », il reste sur la même ligne de conduite que sur le « dessin pas dessiné » : là où fleurissent les manifestations pour la tolérance, les témoignages dénonçant misogynie et harcèlement de rue, les associations contre le racisme, les organismes pour la protection des enfants, les collectifs pour l’insertion des personnes handicapée, et tant d’autres actions pleines de bonne volonté et de bienséance, Navo, lui, en prend le parfait contre-pied et s’amuse sans vergogne avec des thèmes aussi délicats et « borderline » que la pédophilie ou l’inceste, dégommant tout et à tout-va : femmes, enfants, homo’, infirmes, nains, cancéreux, sidéens, musulmans, juifs ou chrétiens… tous seront égaux devant l’humour faussement bon enfant mais carrément sale gosse du lascar !
Un humour sans pitié, certes, mais habilement maitrisé – qui dénonce finalement autant qu’il dégomme – et foutrement en phase avec son époque… que ce soit via les sujets abordés, les expressions et tics de langage que servent les dialogues, ou les nombreuses références qui s’incrustent tout au long des pages.
Après, vous me direz peut-être : « quitte à faire des jeux de mots, aussi bon soient-ils, pourquoi ne pas les compiler en un bête recueil comme les blagues de Jean Roucas plutôt que de squatter des étals de BD déjà bien surchargés ? »
Ha ha ! Je vous arrête tout de suite : si le bonhomme avoue ne pas maîtriser l’art du dessin, il n’en connait pas moins les arcanes de la bande dessinée ! Ces strips jouissent d’une mécanique incroyable et imparable, usant au mieux des 3 cases dont il dispose – mais également des entre-cases, des codes couleurs, des formes des bulles ou simplement de leur placement – pour apporter un véritable rythme à son « gag », transformant sa contrainte de base en un putain d’atout !
Aussi drôle et irrévérencieuse qu’intelligente et ingénieuse, fruit d’une démarche jusquauboutise et d’une réelle réappropriation du média… ne devrait-on pas finalement qualifier cette bande pas dessinée de petite leçon de bande dessinée ?
La bande pas dessinée (3 Tomes / Intégrale), de Navo (ed. Vraoum).