Exceptionnellement, cette chronique de contiendra pas de résumé de l’album en question… et je ne saurais trop vous conseiller de ne pas fouiner pour en dénicher un ailleurs : pour un plaisir maximal, mieux vaut attaquer cette lecture sans ne rien savoir de l’histoire au préalable.
En effet, Le Perroquet des Batignolles étant l’adaptation bédé d’une intrigue policière initialement diffusée sous forme de feuilleton radiographique (France Inter – 1997), le scénario, construit pour tenir sans cesse l’auditeur en haleine, fourmille de rebondissements en tout genre et en tout sens, de retournement de situation inattendus, de révélations spectaculaires et autres coups de théâtre que l’on prend un plaisir fou à découvrir au fil des pages !
Mais si l’on ne parle pas du fond, on peut tout de même parler de la forme, non ?
Déjà, il faut savoir que le matériel de base est signé Tardi et Boujut, deux grands habitués du genre, et que l’on peut donc s’attendre à un polar de qualité. Et même s’ils tirent les ficelles les plus classiques, les auteurs sauront les exploiter intelligemment et habilement, s’amusant à les emmêler et les triturer à tout vat pour mieux nous perdre et nous captiver à la fois. Ainsi, au fur et à mesure que s’enchaineront les crimes audacieux, nous verront de mystérieux bibelots d’apparence anodine devenir les objets de toutes les convoitises, des liens dangereux se révéler entre des personnes ne s’étant pourtant jamais côtoyées, un méchant à la sale trogne prêt à courir tous les risques pour commettre ses odieux méfaits, un curieux message d’outre-tombe ressurgir pour dévoiler ses compromettants secrets au grand jour, l’ombre d’un charismatique faussaire arsènelupinesque se glisser insidieusement derrière chacun des protagonistes…
Et si l’action est sensée se dérouler de nos jours, on appréciera pourtant le charme à l’ancienne qui s’en dégage grâce à tous les détails succulents et les références habilement glissés de-ci de-là : le héros emprunte ses jeux de mots à Bobby Lapointe, sa belle-fille semble échappée d’un bouquin de la Bibliothèque Verte, son beau-père est un vieux cheminot anar’ fan de Gabin et de La Bête Humaine, son collègue s’exprime avec une gouaille de Parigot digne d’un Audiard, sa boite à musique joue un morceau des Frères Jacques, et lorsqu’il s’embarque dans une poursuite en voiture, c’est au volant d’une vieille Diane de Citroën !
Un doux parfum de Godard qui porterait à l’écran un épisode du Poulpe enquêtant sur le vol des bijoux de la Castafiore par Fantomas …
Oui, oui : les bijoux de la Castafiore. Car si les scénaristes s’amusent à piocher allègrement dans le roman noir et le cinéma de genre, Stanislas, lui aussi, ajoute son grain de sel à l’ambiance oldy en nous gratifiant d’une superbe ligne claire sobre et épurée nous ramenant avec joie à l’âge d’or de la bédé franco-belge.
Entre un Tardi qui y distille sa passion pour les romans noirs où la ville était un personnage à part entière, un Boujut qui y insuffle son amour du cinéma de papa où les méchants avaient vraiment de la gueule, et un Stanislas qui y revendique haut et fort sa filiation avec ceux ayant donné ses lettres d’or au 9ème art ; ce Perroquet des Batignolles est un sacré bel à hommage à toute une époque !
Le Perroquet des Batignolles (2 tomes), de Stanislas, Tardi & Boujut (ed. Dargaud).