« Vois comme ton ombre s’allonge…
Vois comme tes rides se creusent…
Regarde, ce sont les lettres du père de ton grand père… Non, attends, reviens ! Ce sont des lettres d’amour, regarde comme elles sont belles…!
Pourrais-je sortir ? Ca fait maintenant deux mois que je suis ici, et je vous assure que je vais beaucoup mieux…
Vois comme ton ombre s’allonge, vois comme le temps passe, vois comme tes rides se creusent…
Petit à petit, ton visage change, vieillit, et un matin, ton reflet dans le miroir n’est plus ce garçon de 18 ans, mais cet homme de cinquante ans, marqué par le poids des années.
Ma douce, cette lettre ne peut être la dernière. Aujourd’hui encore, on m’envoie sur le front, mais une fois encore, je reviendrai, j’en suis certain : grâce à notre amour, je suis invincible.
Non, ne m’abandonne pas… je t’aime, et j’aime notre fille… s’il te plait, ne m’abandonne pas… »
Atteint d’une subite schizophrénie, Landi est interné en hôpital psychiatrique. Cet ancien auteur à succès n’écrit plus. Par contre, il dessine. Il dessine encore et toujours le même arbre, la même station-service. Pourquoi ?
Peut-être cet arbre est-il celui auprès duquel son aïeul écrivait ses lettres enflammées qu’il destinait à sa douce. Ce seul arbre encore vivant au milieu de ce no mans land, et son grand-père, seul être encore vivant au milieu de ce champ de morts…
Peut-être cette station-service est-elle celle où sa femme l’abandonna, lasse qu’il ne vive sa vie qu’au travers des histoires qu’il s’invente, les histoires qui le hantent, les histoires auxquelles il se raccroche afin de pallier aux histoires qu’il n’écrit plus, à son histoire qu’il ne vit plus…
Alternant de belles aquarelles, denses et intenses, pour illustrer les scènes fantasmées où l’amour est plus fort que la mort, et un trait sec et austère pour les scènes de cette triste réalité où Landi n’est plus que l’ombre de l’homme qu’il a été, Gipi livre là un livre à la fois magnifique et désespéré sur la dépression, la peur du temps qui passe, l’incapacité à communiquer…
…subtil, sensible, sincère, et profondément touchant.
Vois comme ton ombre s’allonge, de Gipi (ed. Futuropolis).