– Journal d’un corps, de Pennac & Larcenet –

Courant 2012, Daniel Pennac sortait un étrange livre intitulé Journal d’un corps.

Etrange, car au milieu des nombreux journaux – du Journal d’Anne-Franck au Journal de Bridget Jones en passant par le Journal d’une femme de chambre – où un personnage épanche et panse son âme en y reportant les moindres de ses émotions et émois, Pennac nous en proposait le parfait contre-pied en publiant le journal d’un homme ayant fait fi des considérations métaphysiques pour ne se consacrer qu’à ses observations ultra-physiques.

Un journal dans lequel, suite à une grosse frayeur l’ayant littéralement poussé à se faire dessus, un frêle et chétif garçon de 12 ans décida de coucher ses peurs sur le papier pour tenter de les comprendre, et ainsi mieux les appréhender, les maitriser, et les combattre.

De fil en aiguille, le fragile adolescent – devenu jeune-homme, homme mûr, puis vieil homme – aura noirci quantité de carnets où il reporta tout au long de sa vie chacun de ses ressentis de sorte à ce que ce journal devienne l’ambassadeur entre son esprit et son corps, le traducteur de ses sensations.

Et si l’auteur de ces lignes insiste pour que jamais on ne qualifie ses écrits de « journal intime », ô combien intime ce journal se révèlera-t-il pourtant.
Au travers de son corps s’affirmant, se blessant, se guérissant, se battant, s’ébattant, s’émerveillant, s’éveillant, s’endormant, ou se mourant ; c’est toute sa vie qu’il nous raconte-là, à grand renfort de détails quasi-chirurgicaux, sans aucun tabou ni fausse pudeur !

Alors oui, on pourrait craindre que cet égocentrisme anatomique devienne à la longue quelque peu rébarbatif, mais c’est sans compter sur l’art qu’à Pennac de jouer avec les mots ; les retourner, les détourner, les associer, les dissocier, pour leur donner un sens tout autre, un tout autre non-sens.
Un sens de la formule et une malice qui parviennent à nous toucher droit au cœur même lorsqu’il s’agit d’urine, de selles, de vomi, de sueur, de pu, ou autres crottes de nez…
…on rit, on pleure, on tremble, on vibre : il y a de l’émotion dans ces émonctions !

Ce drôle de bouquin, Gallimard & Futuropolis nous le proposent aujourd’hui sous la forme d’un bel et grand album illustré par môssieur Manu Larcenet. Un Larcenet fan de Pennac qui ne s’est pas contenté de mettre en image les mots de l’auteur, mais qui a laissé à sa main la totale liberté de traduire les sentiments que ces mots lui inspiraient… un peu comme s’il griffonnait dans les marges des pages tout en se laissant absorber par le livre !

En ressortent des dessins hyper-intuitifs, à la fois puissants et fragiles, se réduisant parfois à une simple tâche « jetée » sur le papier – sorte de test de Rorschach que l’on serait libre d’interpréter à notre guise –, ou un visage tracé en un unique trait au centre duquel deux yeux ô combien expressifs apparaissent d’un amas de hachures nerveuses, ratures compulsives et frénétiques issues de la peur, la rage, où la passion habitant ces pages…
Quelque chose de très épidermique, d’organique, qui ne pourrait mieux coller au sujet et donne littéralement corps à ce journal du même nom.

Un grand livre illustré par un grand dessinateur, qui vous prend à bras-le-corps et vous secoue au plus profond.

Journal d’un corps, de Daniel Pennac, illustré par Manu Larcenet (ed. Futuropolis / Gallimard).

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