Après une fin d’année très intense, la Rubrique-à-Brac peine à reprendre son activité…
…pour l’heure, je laisse donc la parole à mon ami Maël Rannou, qui nous parle d’un sujet fort d’actualité à quelques jour du prochain Festival d’Angoulême.
Bonne année et à très bientôt pour le retour des chroniques…!
PaKa
» José Roosevelt n’est pas une star de la BD mais il a construit depuis de nombreuses années, et en totale indépendance [1], une œuvre forte et profondément originale. Après avoir créé les éditions du Canard en 2002, il a réussi avec succès la transition de la petite édition vers la diffusion/distribution (en confiant celle-ci aux Belles Lettres), et s’est battu avec assez de conviction pour que ses livres [2] arrivent dans les rayons de toutes les bonnes librairies. Cette intransigeance lui a permis d’obtenir un carré de lecteurs fidèles et sans cesse grandissant, rendant pérenne sa courageuse aventure éditoriale.
Ces amateurs avaient pris l’habitude de prendre un temps d’échange chaleureux sur le stand des éditions du Canard le dernier week-end de janvier. Toujours chaleureux, le dessinateur et sa femme accueillaient les visiteurs avec une gentillesse infinie, et une disponibilité bienvenue dans la grand messe angoumoisine où il est si rare que l’on puisse s’arrêter respirer. Moment précieux où l’on retrouvait le sens initial de ce genre d’évènement : la rencontre entre un auteur et son public. On l’appréciait d’autant que le dessinateur quitte rarement la Suisse et se consacre plus à ses livres qu’à des tournées de dédicaces. Angoulême pouvait s’enorgueillir de continuer à soutenir la création – même si ce soutien était tout relatif, la somme de location d’un stand étant exorbitante : qu’un si petit éditeur puisse la payer relève déjà du miracle!
Mais voilà, il y a quelques jours, les amateurs de José Roosevelt recevaient un courriel un peu amer. Présenté sous la forme d’une interview imaginaire de Juanalberto, un de ses personnages fétiches, on y apprenait que les éditions du Canard n’auraient pas le droit à un stand cette année. Tout s’était pourtant bien passé, l’éditeur avait reçu son numéro d’accréditation, et attendait la confirmation qui, finalement, n’est jamais venue. L’argument est lapidaire : il n’y a pas assez de place. Sous-entendu : avec tous ces petits éditeurs, la bulle New-York déborde et il faut faire des choix.
Quand on voit l’espace que prennent les éditions du Canard, l’argument fait doucement sourire. Avec deux ou trois tables maximum, on est bien loin de la bulle réservée de Soleil ou des espaces à la déco monumentale des éditions Jungle, où l’on peut jouer au basket pour fêter la sortie de la BD officielle de Tony Parker… On me rétorquera que la question ne se pose pas puisqu’il ne s’agit pas de la même bulle, et pourtant elle se pose, rien n’empêche d’offrir un autre espace avec une plus grande bulle. Derrière cet argument soit-disant objectif il y a un choix éditorial : celui de favoriser les grosses structures, dont le poids financier empêche de se priver, et tant pis si pour cela il faut se séparer de quelques petites boîtes qui ne rapportent pas assez et n’ont pas les moyens de faire trop de bruit, quitte à être disgracieux.
José Roosevelt est en colère et cela se ressent dans sa lettre, mais il ne s’agit pas d’un homme habitué à ruer dans les brancards ni d’un aigri. Son geste se voulait plus un avertissement que l’ouverture d’une guerre, de toute façon inégale, et on l’imagine déjà retourné à ses planches. Son éviction est pourtant symptomatique d’une politique de plus en plus sensible à chaque nouvelle édition. Au fil des ans, des résistants de la première heure disparaissent du festival. L’an dernier Alain Beaulet avait décidé de plus venir sur le salon, face à l’absence d’un public curieux. Quand on transforme une manifestation culturelle en « plus grande librairie du monde », il n’y a malheureusement plus de place pour certains amoureux de l’artisanat. Aujourd’hui ce sont les éditions du Canard qui se retrouvent hors du festival, qui continuera sans états d’âme à s’enorgueillir de ses bons chiffres et à s’enthousiasmer pour un œcuménisme de façade.
Et tandis que l’espace des défricheurs continue de se restreindre [3], les véritables amateurs – ceux qui viennent pour découvrir des travaux inconnus, rencontrer des auteurs et acheter des choses introuvables ailleurs – en seront pour leur frais. Il ne s’agit même pas de monter des camps les uns contre les autres. Ceux qui connaissent le travail de José Roosevelt savent que c’est un auteur mêlant fantastique, onirisme et science-fiction avec un trait réaliste (même si son univers, lui, est surréaliste) : pas vraiment la ligne classique des alternatifs ! Il s’agit simplement de défendre un travail intelligent, quel que soit son type, de défendre une démarche courageuse, de défendre une cohérence éditoriale… Mais quand ce sont les plus gros vendeurs qui se taillent la part du lion, que ce sont ceux qui sont déjà connus de tous qui sont mis en pleine lumière, sommes-nous bien encore dans une manifestation culturelle où dans un triste étalage du marché ? Cette antienne se fait entendre depuis des années, mais force est de constater que le festival ne fait rien pour enrayer la tendance. »
Les Editions du Canard, le site.
* Notes :
[1] S’il a pu travailler avec divers éditeurs (notamment Paquet et La Boîte à bulle), ces diverses expériences l’ont fait revenir à une auto-édition totalement maîtrisée.
[2] Des grands formats à la fabrication soignée et au choix éditoriaux très forts (comme la recolorisation très censée mais bien plus expérimentale dans la réédition de L’Horloge).
[3] Entre autre exemple, cette année il n’y aura plus que 38 stands fanzines contre 45 l’an passé. Alors que la production n’est pas moins riche, loin de là !
C’est nul….. Mais malheureusement tellement généralisé. Dès qu’une structure, quelle qu’elle soit, devient trop importante, il n’y a plus qu’une seule chose qui compte : le pognon, le pognon, et encore le pognon. Un peu le fric, aussi….. Ce monde marche complètement sur la tête. Chaque jour de nouveaux exemples et tout est normal. Ne changeons rien, tout va bien, c’est pour nous, notre sécurité, notre bien-être……
Bref….. Ca y est, je suis énervé……