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– Urban, de Brunschwig & Ricci –

Angle[s] de Vue étant initialement un lieu dédié au septième art, oublions quelque temps nos petits miquets pour se recentrer sur ce sujet bien plus noble qu’est le cinéma.
J’aimerai aujourd’hui revenir sur le film A.I. (Artificial Intelligence), de Steven Spelbierg.
Si ce film prend place dans la biographie du grand réalisateur, l’adaptation de ce roman de Brian Aldiss était à la base un projet destiné à un autre maître du genre, Stanley Kubrick.
Celui-ci en avait donc écrit le scénario, s’était imaginé l’univers dans lequel se déroulerait son histoire, se l’était approprié, mais ne put finalement jamais réaliser son film.
Des années plus tard, le script se retrouve entre les mains de Spielberg qui décide de rendre hommage à son ami et collègue en portant lui-même ce récit à l’écran.

Même matériau de base, même univers, même histoire, mais une sensibilité différente qui conduit au bout du compte à un résultat très différent de ce qu’on aurait pu attendre de Monsieur Orange Mécanique.
C’est drôle, d’ailleurs, comme cette anecdote peut paraître si semblable à ce qu’il advint de Urban Games, une série de Luc Brunschwig avortée après le premier tome faute de dessinateur, et qui revient aujourd’hui, 15 ans plus tard dans une optique tout à fait différente sous les crayons de Roberto Ricci…
…damned, serai-je en train de parler bande dessinée ? Raaaah, je suis incorrigible, j’en conviens, mais comment ne pas penser à Urban lorsqu’on parle d’A.I.… et inversement !

Même si l’un a pour héros un garçonnet robot et l’autre un gentil lourdeau un brin naïf, et que tout deux suivent un but différent (le premier souhaitant devenir humain, le second devenir policier), on ne pourra que constater les similitudes de leurs expériences quand tous deux débarquent dans ces villes dédiées au plaisir – finalement plus proche du lupanar que du luna-park – et le décalage qu’imposent leur fraicheur et leur innocence face à cette avalanche de tentations et de vices.
Et si les deux choisissent comme angle d’attaque une référence aux contes de notre enfance
(Spielberg s’attaque à Pinocchio, Brunschwig à Alice aux pays des merveilles), ce n’est que pour mieux les détourner, les pervertir, et dénoncer les dérives de notre société risquant de nous mener vers ce futur effrayant : une omniprésence de la télé et de la publicité frôlant la propagande, une overdose d’images et de sons menant à l’abrutissement, une dépersonnalisation de l’individu tirant dangereusement vers l’uniformisation, un simulacre de justice plus proche du spectacle que du respect de la loi, une surenchère technologique remplaçant et dégradant la nature, et encore d’innombrables autres aberrations camouflées sous une épaisse couche de vernis brillant et de futilités clinquantes mises à disposition de chacun pour détourner son attention.

 

Bien sûr, ces messieurs les auteurs ne sont pas la pour nous servir des pamphlets ni pour fomenter une révolution sociale ! Conscients et fiers de leur rôle d’amuseurs, ce que nous avons sous les yeux reste donc du pur divertissement ; du divertissement de qualité, néanmoins.
Et si l’on connait les talents du cinéaste, nos bédéastes n’ont pas à rougir devant lui : Brunschwig fait preuve d’un sens du rythme épatant, découpant son récit sans lui laisser un seul temps mort, et ceci sans jamais léser les personnages dont la psychologie et la personnalité sont réellement soignées et fouillées. Personnages parmi lesquelles je compte évidemment Monplaisir, tant cette ville fait partie intégrante de cette histoire et y tient un rôle de toute première importance. Un scénario riche et dense, donc, que Robberto Ricci met en images magistralement grâce à un soin du détail hallucinant, s’attardant sur chaque point de l’architecture de cette cité tentaculaire, truffant ses pages clins d’œil et de références, traduisant à la perfection les émotions des personnages, et s’amusant parfois à illustrer deux actions simultanées sur différents plans d’une seule et même case ! Au même titre que Zach, le héros, on en prendra nous aussi plein les yeux en s’immergeant dans cette vertigineuse citée…

Un premier tome étonnant et détonnant qui ne fait qu’effleurer le potentiel immense de cet univers hallucinant, mais qui promet une série de grande volée nous apportant autant de jouissances que l’on peut en trouver à Monplaisir !

Urban, Tome 1, de Luc Brunschwig & Roberto Ricci (ed. Futuropolis).

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