Afrique Noire, début du 19ème siècle.
Atar Gull est fils de roi. Un roi africain qui pleure son peuple, décimé par les guerres entre tribus.
Atar Gull ne pleure pas. Il est fier et fort, il ne pleurera jamais.
Les négriers ne pleurent pas non plus. Au contraire, ces guerres entre tribus sont tout à leur avantage, eux qui achètent contre quelques armes et une poignée de verroterie les prisonniers qu’ils revendront à prix d’or comme esclaves sur le continent américain.
Atar Gull, comme tant d’autres, viendra grossir les rangs de ces prisonniers embarqués à bord d’un navire vers le Nouveau Monde, entassés en fond de cale et traités comme du bétail. Mais Atar Gull est fier et fort, il ne pleure pas.
Il ne pleurera pas non plus quand leur navire sera attaqué par des pirates sanguinaires, ni plus tard quand il sera exposé comme un animal sur le marché aux esclaves de Port Royal. Atar Gull est fier et fort, il restera impassible et digne.
Il restera impassible et digne également sous les coups de fouets, et se montrera puissant et efficace dans les champs de coton. Car Atar Gull est intelligent aussi : il sait qu’en faisant bonne figure, son sort sera moins rude. En se montrant travailleur et dévoué, il bénéficiera des bonnes grâces de son maître qui lui confiera des tâches plus douces. En gagnant sa confiance, il parviendra même à devenir son esclave personnel et obtiendra une place de choix en sa demeure.
Mais si Atar Gull ne pleure pas, Atar Gull n’en est pas moins blessé, et sous ses abords d’esclave modèle, Atar Gull n’oublie pas ce que ces hommes ont fait subir à son peuple et à lui-même. Et comme Atar Gull est intelligent, il sait que c’est sans faire de vague, insidieusement, et en étant aux plus proche de ses ennemis qu’il pourra obtenir sa vengeance, glaciale et cruelle.
Sur fond de traite des noirs, Nury nous offre une aventure humaine sombre et oppressante, intense et tragique, évitant le piège du manichéisme en mettant en scène un négrier conscient d’exercer un commerce dégradant, un cotonnier désireux d’amener une once d’humanité dans les rapports avec ses esclaves, et un héros défendant une noble cause mais auquel on ne parviendra finalement pas à s’attacher tant il est empli de haine et de cruauté, allant même jusqu’à sacrifier ses frères pour assouvir sa soif de vengeance.
Une aventure permettant à Brüno d’ajouter une nouvelle corde à son arc et de s’approprier un nouvel univers, celui-ci venant rejoindre le western enneigé, le polar blaxploitation, ou encore la SF rétro’. On retrouve ici son trait si particulier – subtil mélange entre une ligne claire traditionnelle et un trait symétrique et anguleux flirtant avec l’art-déco seventies -, auquel il ajoute un aspect brut et charbonneux soulignant d’autant plus la noirceur du récit.
Un grand album, sombre, impressionnant, et puissant… à l’image d’Atar Gull.
Atar Gull, de Nury & Brüno (ed. Dargaud).
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