A l’heure où les films de super-héros envahissent nos écrans et où les ventes de comics Marvel explosent, j’aimerais revenir sur un album sorti il y a quelques temps déjà, Abigail.
Abigail est l’album d’un jeune auteur français bien connu de la blogosphère et s’essayant ici à l’exercice du super-héros… à la mode européenne, bien sûr.
Du coup, au lieu de nous resservir le classique gros balaise aux muscles tout bien moulés dans sa belle tenue en spandex, Aseyn mettra en scène Edward, un frêle et chétif petit bonhomme ayant gagné le pouvoir de voler à un concours de dessin lorsqu’il était gamin.
Jusqu’ici son acte le plus valeureux fut de secourir les chatons perchés à la cime des arbres, préférant plutôt utiliser son pouvoir pour se balader dans le ciel avec Abigail, sa tendre et douce amie.
Futile activité, non ? Pourtant, un certain oncle Ben lui aurait volontiers assené un magistral « à grands pouvoirs, grandes responsabilités » !
Mais à l’origine de chaque super-héros, il y a un trauma ; et Edward n’échappera pas à la règle. Aussi, quand Abigail le plaque, le petit être blessé, rongé par un sentiment d’abandon et d’inutilité, décide de mettre son pouvoir au service de tous et de sauver le monde.
En même temps, qui dit sauver le monde, dit menace.
Heureusement, apparait le super-vilain qui-va-bien, machiavélique à souhait, plein de rancœur et de haine, avide de pouvoir… mais aussi de vengeance ; car évidemment, il se révèlera bien plus proche d’Edward qu’on pourrait le croire !
Une trame somme toute assez classique, à laquelle Aseyn (épaulé par Wandrille et Singeon) parviendra néanmoins à donner un intérêt tout particulier grâce à un traitement des plus intelligents.
Déjà, même si l’aspect comic de ce bouquin est doublé d’un aspect comique, l’auteur évite de tomber dans le piège de la parodie de base. A l’humour gras et lourd typique de cet exercice, il préfère donc quelque chose de beaucoup plus léger et subtil ; parsemant ses dialogues de références et codes finement détournés plutôt que de grosse vannes qui tâchent, et ne s’acharnant pas à rendre son personnage hilarant, choisissant au contraire d’accentuer son côté humain et très ordinaire, parfois même jusqu’à le rendre savoureusement absurde… et au final profondément touchant.
Idem pour le visuel : n’essayant en aucun cas de s’approprier ou de caricaturer le style US – ses dessins hyper précis et ses couleurs criardes, Aseyn marque cet album de sa patte bien particulière, usant d’un trait irrégulier et tremblant dont l’imperfection le rend profondément sincère et sensible, vibrant et vivant.
De plus, s’il vous est arrivé de parcourir son blog, vous aurez eu l’occasion de contempler quelques magnifiques paysages urbains que le lascar se plait à dessiner, paysages qui prennent ici tout leur sens en offrant à Edward de grandioses décors dans lequel évoluer ; des toits de Baltimore aux sous-sols de l’usine désaffectée servant de repaire au méchant.
Dessins encore sublimés par le remarquable travail de Singeon, qui nous gratifie de fabuleuses couleurs toutes en nuances, offrant des ambiances collant parfaitement à l’action, traduisant aux mieux les émotions des personnages, et aportant une réelle profondeur à l’ensemble grâce à d’admirables jeux d’ombres et de lumière.
Plus qu’une simple parodie, plus qu’un bel hommage, Abigail est une vraie bédé de super-héros, originale, singulière, et bourrée de qualités… alors fatalement, après un épisode de genèse si appétissant, on croise les doigts pour qu’Aseyn approfondisse son personnage et s’attelle à de nouvelles aventures d’Edward le héros super !
Abigail, de Aseyn (ed. Vraoum).