Fin des années ‘60, la France érige ses premières cités : d’immenses barres d’immeubles s’élevant vaillamment dans notre paysage urbain, à la fois à l’orée de Paris et à l’orée des forêts, des « réalisations spectaculaires » témoins de « l’esprit futuriste » de notre Patrie, fière de mettre des milliers de logement à la disposition de ces petites gens travaillant pour le pays.
Né en 1968, Gilles est un des premiers enfants à avoir vu le jour dans ces cités. Mais bon, ça, ses potes et lui, ça ne les émeut que très moyennement. Eux, tout ce qu’ils voient, c’est un immense terrain de jeux, entre forêt végétale et forêt de béton, où vivre leur vie avec insouciance, entre parties de foot, jeux de sales gosses, et occasionnellement, une expédition commando pour chourer une boite de Granolas à la superette du quartier. L’existence dans cette cité toute-neuve-tout-belle s’apparenterait presque à l’idée qu’on se fait de belle vie.
Mais rien n’est jamais tout rose, et quand le chômage de masse pointe le bout de son nez, les premiers touchés sont les habitants de ces quartiers populaires. Pour arrondir les fins de mois difficiles, certaines mères en détresse se voient même dans l’obligation de recourir à la prostitution. Entre amis, on essaye de ne pas en parler, de nier l’évidence et de continuer de vivre comme si de rien n’était. Mais l’ambiance devient pesante, et quand un gars se fait traiter de fils de pute, l’injure se nimbe d’un tout autre sens et les réactions peuvent s’en trouver exacerber… jusqu’au drame. Débute alors une réaction en chaine : à l’intérieur l’unité est brisée, le bel esprit de communauté s’effondre, les gangs se créent et on doit choisir son camp. A l’extérieur, les média s’emparent de l’info’, l’amplifient, la déforment. On diabolise les cités, ceux qui y vivent sont considérés comme des fauves qu’il faut dresser. Apparaissent alors les premiers éducateurs, bientôt suivis par la police et ses méthodes pas toujours recommandables.
La suite ? Elle est peu reluisante. Si vous ne la connaissez pas, il vous suffit de regarder par la fenêtre, d’ouvrir un journal, ou si vous voulez du spectaculaire, de vous brancher sur TF1 et d’écouter le discours de ces politiciens faisant de l’insécurité leur fer de lance !
Mais Gilles Rochier ne fait pas dans la chronique sociale, il n’a pas la prétention de nous dresser le portrait des cités. D’ailleurs, il ne nous parle pas des cités, mais de sa cité, à travers sa propre histoire et celle d’une poignée de gamins y ayant vécu leurs jeunes années. La cité n’est que le théâtre dans lequel se joue leur tragédie de banlieue. Une banlieue qu’il aime autant qu’il la hait. Il aime la solidarité qu’on peut y trouver, la culture propre qu’elle s’est forgée, forte et colorée, avec son propre langage et ses propres règles. Et en même temps, il hait ceux qu’ils l’ont dégradée, ceux qui n’ont pas respecté les règles qu’ils s’étaient eux-mêmes créées, ceux qui en ont fait une jungle… ceux qui ont donné tant de grain à moudre à ces médias en quête de faits divers croustillants à se mettre sous la dent.
Une histoire qu’il relate parfois avec nostalgie, parfois avec rage, d’autres fois tout simplement avec dépit… mais sans jamais porter de jugement ou l’alourdir de pathos malvenu et de misérabilisme de mauvais aloi.
Une histoire qu’il raconte avec un trait brut, sans fioritures ni effets superflus. Rochier vient du fanzinat, et ça se voit. Il n’est pas là pour faire de l’esbroufe ou pour s’acharner des heures sur une case, il sait aller à l’essentiel, capable de faire passer des messages lourds de sens en quelques pages seulement. En trois coups de crayon aussi simples qu’expressifs, son dessin sait se faire tour à tour touchant, violent, ou dérangeant… toujours en parfait accord avec l’émotion de ses personnages.
A la fois profondément personnel et terriblement d’actualité, l’auteur navigue avec justesse entre le récit autobiographique et le conte urbain, prêtant ses souvenirs et son expérience à une bande de gamins auxquels chacun pourra s’identifier pour un résultat des plus émouvants, poignants, et terrifiants… où la touche d’espoir soulagera d’autant plus.
T.M.L.P. (Ta Mère La Pute), de Gilles Rochier (ed. 6 Pieds Sous Terre)
( A écouter : Assassin – Touche d’Espoir )
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Commentaire très juste pour un album qui sait lui aussi exprimer un vécu avec les mots qui font mouche. Comme tu le soulignes, on ne tombe jamais dans le pathétique. Gillou et sa bande méritent un regard empreint de respect de la part du lecteur…
Bonne continuation !
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