En 1913, à l’aube de la Grande Guerre, le Kaiserin Augusta vogue vers la Papouasie, mandaté par le Reich pour une mission océanographique. A son bord, Heinz Von Furlau, un peintre embarqué sur le cargo armé de ses pinceaux et de son carnet afin de rapporter portraits de marins, paysages de contrées lointaines, et images de peuples exotiques.
Mais le voyage s’avère difficile pour l’artiste, homme instruit, érudit, et ouvert d’esprit : rejeté par les marins, rustres et primaires, insensibles à son art, le considérant comme membre inutile de l’équipage ; outré par le médecin de bord, sorte de savant fou pratiquant la dissection sur les peuples des colonies afin d’étudier ce qui différencie ces « animaux » de l’Homme Civilisé supérieur, « l’Homo Germanicus ». La suite ne sera guère meilleure : arrivés sur place les soldats allemands, rapidement débordés par les autochtones défendant leurs terres, se verront dans l’obligation de battre en retraite… abandonnant lâchement Heinz sur l’île.
Contre toute attente Heinz, sera recueilli par les papous, deviendra l’un des leurs, trouvera une femme au sein de la tribu, et vivra des jours heureux dans ce paradis tropical. Il y savourera l’amour, la paix, la sérénité, le repos du corps et de l’âme, le respect de l’individu et de la nature… jusqu’à ce que la réalité le rattrape et que ses compatriotes viennent le « sauver », décimant sa tribu et l’arrachant à sa douce vie pour le ramener en Allemagne, dans l’enfer des tranchées où tout n’est que mort et désolation.
Un récit dur et âpre, traitant de la folie humaine, du danger de la pensée unique, du racisme et des génocides, des atrocités commises au nom d’une idée… Mais tout ceci sans jamais virer à la simple chronique de guerre, cet album étant plutôt conçu comme un journal de bord regroupant les tableaux peints par Heinz aux longs de ces années, agrémentés de ses commentaires, ses annotations, ses pensées, ses ressentis…
Un récit dur et âpre, donc, mais aussi prenant et fascinant : d’une part les peintures expressionnistes de Pinelli, puissantes et brutes, aux dominantes rouge flamboyant et gris acier, expriment parfaitement la cruelle réalité de l’époque ; d’autre part les textes de Bellefroid, emprunts de tant de sagesse, de philosophie et de lyrisme confèrent une voix profondément humaine et humble à Heinz, créant un contraste radical avec les horreurs qu’il rapporte et le plaçant automatiquement comme un spectateur impuissant et désespéré face à cette tragédie…
Féroces tropiques, de Pinelli & Bellefroid (ed. Dupuis)
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