Dire qu’à la Rubrique-à-Brac on parle souvent de bande dessinée relèverait de l’euphémisme, alors si pour une fois nous oubliions nos petites cases et explosions nos chères bulles pour libérer les mots qu’elles renferment, et les laisser vivre leur vie, s’étendre, se répandre, se multiplier… ? Sans pour autant oublier le dessin, nous pourrions le désolidariser du texte, séparer quelques temps le vieux couple sacro-saint du neuvième art et offrir à ces deux amants une seconde jeunesse, afin qu’ils se cherchent, se retrouvent, et se courtisent à nouveau.
Pour ce faire, je ne saurai trop vous conseiller cette nouvelle édition d’A travers le miroir, suite d’Alice au Pays des Merveilles, dans laquelle les dessins de la jeune et jolie Lostfish flirtent avec les mots de l’illustre et mystérieux Lewis Caroll.
Et quel plaisir d’assister à cette exquise histoire d’amour, les uns répondant si naturellement aux autres, les cyber-peintures de la demoiselle illustrant à la perfection l’écriture à niveaux multiples du monsieur. Quand Lewis Caroll décrit un Pays des Merveilles se révélant bien plus inquiétant que merveilleux, Lostfish dessine des femmes-poupées se révélant bien plus dérangeantes qu’innocentes. Alors que l’écrivain construit son roman sur un schéma à l’implacable logique d’une partie d’échec, il s’évertue au contraire à le truffer de dialogues emplis de nonsense et d’absurdité. Alors que l’illustratrice construit son univers sur des personnages à l’allure enfantine et à la peau diaphane, elle s’évertue au contraire à les représenter dans des postures lascives et à les doter de formes naissantes, de joues rosées, et de lèvres pulpeuses à la limite de l’érotisme inavouable. Lorsque une licorne naît sous la plume du premier, on craint immédiatement que sa corne légendaire ne se change en un pieu prêt à nous embrocher ; lorsque une fillette naît sous le pinceau de la seconde, on craint immédiatement que ses longs doigts si fins ne se changent en serres prêtes à nous lacérer…
Si comme beaucoup vous trouviez la récente Alice de Tim Burton trop disneyenne, à la fois trop colorée et trop fade, vous ne pourrez que tomber sous le charme étrange de cette Alice-ci : femme-enfant envoûtante et troublante, attirante et effrayante, trouvant à merveille sa place dans l’univers onirique et complexe de Lewis Caroll.
A travers le Miroir, de Lostfish et Lewis Caroll (ed. Soleil – Métamorphose)
NB : Et pour un plaisir toujours plus intense, la collection Métamorphose nous offre une nouvelle fois une réalisation de grande qualité, l’album se présentant comme un vieux livre tout droit sorti d’une bibliothèque du XIXème siècle (imprimé sur papier au rendu vieilli des plus agréables), agrémenté des notes du traducteur, des biographies des auteurs, et d’une préface de Trevor Brown, maître du Lowrow Art – courant artistique auquel Lostfish est souvent associée.
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Bonjour,vos dessin son magnifique je vous ai vu a la fête de la BD à Sollies Ville et merci pour la dédicasse.
@ Haela : Bonjour, je ne suis pas l’auteur de ce beau livre, mais seulement l’auteur de la chronique ci-dessus. Si vous souhaitez féliciter Lostfish, vous pouvez le faire via sa page FaceBook à l’adresse suivante : http://www.facebook.com/lostfishpage
Sinon, je suis bien d’accord avec vous : ses dessins sont magnifiques ;o)