Nom de Zeus, les amis, devinez où je me trouve actuellement ?
Exactement ! Au volant de ma DeLorean volante, sur le point de dépasser les fatidiques 88 miles à l’heure et de céder de nouveau à la tentation des voyages spatio-temporels.
Je sais bien que ma résolution pour cette année 2011 – ainsi que pour l’année 1855 – consistait à ne plus utiliser cette machine infernale, mais je viens pourtant de recevoir un texte me donnant furieusement envie de retourner en 2007 afin de récupérer un exemplaire du formidable Là où vont nos pères, de Shaun Tan.
Non pas que cet ouvrage ne fut jamais entré dans la bibliothèque – comment un bédéphile averti tel que moi aurait-il pu passer à côté d’un si bel album ? – mais s’il n’y figure plus, c’est tout simplement que je l’ai offert. Un soir où un ami italien m’exposait son manque de culture bédégraphique résultant du peu d’œuvres traduites dans sa belle langue, je me vis en effet obligé de lui remettre mon exemplaire de Là où vont nos pères ; album sans parole et pourtant loin d’être muet, porteur d’un message universel, tant au niveau du fond que de la forme.
Alors que mon convecteur spatio-temporel s’actionne et que des étincelles commencent à jaillir tout autour de ma DeLorean, je disparais en vous laissant découvrir le texte de mon poète d’ami transalpin inspiré par la lecture de ce magnifique bouquin…
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« Il est probablement sorti, fermant derrière lui la porte verte. Quelqu’un s’est levé pour lui préparer un café d’orge en vitesse. Je ne sais pas s’il s’est retourné, il n’était pas le genre d’homme à se perdre dans les nostalgies de riches . Il s’en est allé, a suivi sa route, sans effort …
Combien d’âmes migrantes ont traversé l’histoire, du Nord au Sud, de la terre à la mer ? Parties à cause de la faim, de la guerre, par peur, vers une ‘Amérique’ parfois rêvée trop vite, vers un monde souvent juste imaginé, rêvé, craint?
Combien de pères, combien de fils se sont mis en chemin, des jours en LA mineur, des matins pales, encore recouverts de brume, ou des soirs sans fin, à la couleur suspendue entre le bleu et le pourpre, vers de nouveaux ciels, des vies ignorées, des futurs en clair obscur, des musiques inconnues ?
Combien de mères et avec quels yeux, ont regardé sur le rivage de la vie, leurs fils, portant des chaussures neuves et le regard d’un animal en fuite, avec un pied sur terre et l’autre déjà en mer, à chercher le courage nécessaire pour traîner ses guêtres d’une terre qui les hait à une autre qui ne les veut pas?
Et Shaun Tan nous caresse avec son crayon, de sa poésie silencieuse, avec la force d’un canon, musique assourdissante étouffée dans le regard d’une enfant qui salue le train emportant son père. Il nous caresse et nous offre un miroir fragile et jauni, dans lequel on peut trouver le courage de se refléter , pour se rappeler que l’histoire de ce voyage, de cet homme, mari et père, parle à chacun d’entre nous, enfants et petits-enfants de générations de gens en chemin, nous permettant de nous voir nous même, nos grand parents, nos pères, dans ces yeux, ces mains, ces vies qui trouvent la force dans la faiblesse de la solitude, accablées par ce destin d’étranger, clandestino, dans tous les cas, extra muros.
Là où vont nos pères nous chante une chanson muette, la chanson de ceux qui sont arrivés de si loin, semeurs de blé sur les champs du monde, retenant rêves, peurs, silences, souvenirs et amours, qui comme les châtaignes, brûlent les mains, réchauffent les dimanches et remplissent les cœurs.
Et si l’on se concède le luxe de s’arrêter un instant pour écouter la profondeur de cette œuvre muette, on se rendra réellement compte que nous sommes ces âmes, ces pères, ces mères, nous sommes ces boules dispersées dans le flipper de la vie, la vie, cet équilibre au delà de la folie. Parce que oui, nous sommes l’histoire, c’est nous, bella ciao, et on on s’en va.
C’est nous les italiens d’Argentine, les ritals dans les ports et les pizzeria, les irlandais et polonais des mines, c’est nous, les frères regardant un monde qui ne nous ressemble pas, un ciel qui ne nous regarde pas, cherchant juste au final un sourire, une mot de réconfort, un visage accueillant.
Une chanson sur la pointe du crayon en LA mineur, un arpège de guitare sur des feuilles blanches, pour nous émouvoir, nous secouer, nous bercer et nous aider à admettre que cet homme est notre visage et notre miroir, jusqu’à ce que vienne le moment, malgré tout ce qui peut arriver, où nous le rencontrerons. »
Là où vont nos pères, de Shaun Tan (ed. Dargaud)
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* PS : Merci à Andrea pour ce texte relatant parfaitement l’émotion véhiculée par cet album, et merci à Steph’ pour la traduction… (Et merci à eux deux, pour tout)
* PPS : S’il s’intéresse à la bande-dessinée, Andrea est aussi et surtout un passionné de musique ; voici donc les titres des chansons que cet album lui à murmurées au creux de l’oreille et dont les paroles sont éparpillées tout au long de son texte.
Amerigo – Francesco Guccini (Amerigo, 1978)
E semm partii – Davide Van de Sfroos (E semm partii, 2001)
Le ragazze dell’est – Claudio Baglioni (Strada Facendo, 1981)
Pane e Coraggio – Ivano Fossati (Lampo Viaggiatore, 2003)
Laura degli specchi- Eugenio Finardi (Dal blu, 1983)
La storia- Francesco De Gregori (Scacchi e Tarocchi, 1985)
Extra muros – Gianmaria Testa (Extra muros, 1996)
Seminatori di grano – Gianmaria Testa (Da questa parte del mare, 2007)
Clandestino – Manu Chao (Clandestino, 1998)
Mio fratello che guardi il mondo – Ivano Fossati (Lindbergh, 1992)
L’abbigliamento di un fuochista – Francesco de Gregori (Titanic, 1982)
Italiani d’Argentina – Ivano Fossati (Discanto, 1990)
Sally – Vasco Rossi (Nessun pericolo… per te, 1996)
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BD incroyable dans sa mise en couleur, son univers sans bulles renforce la puissance de son histoire, comme Moebius et son Arzak,
quand le dessin et la créativité sont au service de l’art, on obtient vite des chefs d’œuvres !!