Pauvre Harold.
Déjà tout petit, ça partait mal pour lui : à cinq ans, il perd son papa et vit seul avec sa mère, qui, pour subvenir à ses besoins, se voit contrainte de cumuler deux jobs. Le jour, elle est infirmière, le soir, serveuse dans un bar. Avec un tel emploi du temps, il ne lui reste que peu de temps pour profiter de son p’tit garçon. Heureusement, il y a le dimanche, jour béni que maman consacre à son bébé ; seul jour où elle peut prendre le temps de lui cuisiner un petit plat qui – à défaut d’être parfait – est préparé avec amour. Mais un jour, la police vient questionner le petit garçon : sa mère a disparu, partie sans laisser d’adresse. Abandonné, Harold, sera alors condamné à une vie sans attache, baladé de centres d’accueil en familles d’adoption.
Avec une telle enfance, c’est tout naturellement qu’Harold deviendra ce jeune homme solitaire, caustique, et peu loquace ; n’ayant que pour seul centre d’intérêt son travail, et pour seul ami, un millionnaire glandeur, prétentieux et bavard, assurant la conversation pour deux.
Et ce n’est pas ce goût étrange et soudain dans sa bouche qui va arranger les choses. Ce goût qu’il traine depuis ce matin, venu on ne sait d’où, indéfinissable, dérangeant, de plus en plus présent, et dont il ne peut se débarrasser. Il tentera pourtant tout et n’importe quoi pour s’en défaire, écumant tous les restaurants de la ville, testant les cuisines et saveurs du monde entier, éclusant des litres de breuvages divers et variés, léchant tout objet se trouvant sur son chemin – du disque vinyle au cendrier sale, et allant même jusqu’à dévorer un animal vivant ! Mais rien n’y fait, ce goût persiste, s’intensifie, s’impose, s’obstine… l’obsède.
Alors si au premier abord on est tenté de rire des mésaventures de ce pauvre Harold – ainsi que des simagrées de son ridicule et ignare acolyte – plus l’histoire avance plus notre sourire s’estompe à mesure que le pauvre hère perd la raison.
D’ailleurs, les couleurs criardes s’étalant allégrement sur les pages ne sont-elles pas présentes uniquement pour masquer la réelle noirceur de ce récit ; et ce goût faussement anodin n’est-il pas plus profondément ancré en Harlod qu’on ne pourrait le croire, comme quelque blessure de son enfance qu’il n’aurait jamais digérée ?
Fable tragique, cynique, et malsaine, c’est avec un goût amer et âpre en bouche que l’on refermera ce bouquin… un goût dont on aura du mal à se défaire !
Ce goût, de Neyef (ed. Ankama)
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