– Renée, de Ludovic Debeurme –

En 2006, Ludovic Debeurme nous racontait l’histoire de Lucille, une jeune fille complexée par son physique, blessée par le départ soudain de son père, étouffée par la présence trop lourde de sa mère, sombrant petit à petit dans l’anorexie.
Debeurme nous racontait aussi l’histoire d’Arthur, un jeune garçon solitaire, et violent, profondément marqué par le suicide de son père, fuyant ses nouvelles responsabilités d’homme de la maison.
Debeurme nous racontait ensuite comment Lucille et Arthur se rencontrèrent, et comment cette rencontre allait bouleverser leurs vies. Comment ces deux êtres perdus se sont trouvés, ont fui leur région rude et froide pour les lumières de Paris, puis la chaleur de l’Italie. Comment ensemble, ils ont appris à s’ouvrir tout doucement, d’abord l’un envers l’autre, puis à s’ouvrir à la vie, tout simplement. Tel des chrysalides devenant papillons, nous avons vu nos deux adolescents s’épanouir, oublier leur enfance éprouvante pour devenir des adultes resplendissants, emplis d’amour, de joie et d’espoir. Mais pour finir, Debeurme nous racontait malheureusement comment le drame les rattrapait, une nouvelle fois via le corps de Lucille et la colère d’Arthur.

Et puis… rien. Depuis 2006, Debeurme ne nous raconte plus rien, nous laissant nous morfondre et nous interroger sur le triste sort de nos deux héros.
Heureusement, aujourd’hui Debeurme nous offre Renée, la suite tant attendue de Lucille.
Cinq longues années d’attente auront été nécessaires pour savoir ce qu’il adviendra de Lucille, de retour chez sa mère, sauvée de l’anorexie mais cruellement tourmentée par le manque ; manque de son père, toujours absent, et manque d’Arthur, alors en prison.
Et Arthur, justement, qu’adviendra-t-il de lui ? Saura-t-il maitriser la colère qui brûle au fond lui – attisée par la dureté du monde carcéral, afin de sortir au plus vite pour rejoindre son aimée ?
Et qui est cette nouvelle venue, Renée ? Une écorchée supplémentaire, renfermée, solitaire, torturée par la vie et torturée par elle-même qui s’automutile pour évacuer la douleur qui l’étreint ; douleur infligée par cet homme plus âgé qui couche avec elle mais ne quittera jamais sa femme, douleur infligée par les fantômes de son enfance qui la hantent et rôdent constamment non loin d’elle.

Des thèmes durs, donc, mais traités avec tellement de pudeur et de justesse.
Loin de sombrer dans le pathos, le voyeurisme, ou le choquant, Debeurme s’attarde une nouvelle fois avec subtilité sur l’intimité de ses personnages, leurs doutes, leurs peurs, leur rage, mais aussi leurs espoirs, leur force, leur amour.
Tant d’émotions et de sentiments que Debeurme prend le temps de développer sur près de 500 pages…
500 pages qui se lisent d’une traite tant son histoire est prenante et sa narration fluide.
500 pages qu’il ne surcharge pas, qu’il aère, libérant ses vignettes de leurs cases étouffantes et n’en plaçant parfois qu’une ou deux par page pour leur laisser la place de respirer.
500 pages où sa plume illustre son propos à la perfection, lâchant parfois un dessin rapide, épuré et minimaliste pour figurer l’essentiel ; s’attardant d’autres fois sur un dessin fin et précis exprimant une tonne d’émotions différentes dans les yeux d’un personnage ; noircissant la page de traits anarchiques et envahissants pour rendre compte de la rage et la folie ambiante ; ou déformant les corps de façon cauchemardesque pour accentuer la sensation malaise ou de dégout…
500 pages de haute volée au cours desquelles nous apprendrons à connaitre les personnages en profondeur, à les comprendre sans jamais les juger, et finalement à les aimer autant que des personnes réelles.

Avec Renée, Ludovic Debeurme justifie amplement ces cinq longues années d’attente et clos de façon magistrale l’aventure commencée en 2006 avec Lucille, livrant une chronique prenante, touchante, et bouleversante sur le mal-être de trois âmes marginales, incomprises et livrée à elles-mêmes, traitant de thèmes des plus difficiles avec une sincérité et une émotion à fleur de peau, et parvenant même à y insuffler un certain souffle d’espoir.
Un réel chef d’œuvre, de ceux qui ont hissé la bande dessinée au rang de neuvième art.

Renée, de Ludovic Debeurme (ed. Futuropolis)

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  2. The last great comic I read was Sweet Tooth, by Jeff Lemire. I’ve heard nothing but amziang reviews of his Essex County, so I JUST picked up the collected version. I have a feeling I will be immensely pleased with it! I’m sadly just getting into graphic novels. I studied literature in university, and I’m really baffled as to why some graphic novels were not included in the curriculum of certain courses. There is a lot of value in many of these texts! I’ll hopefully get a chance to check out Lucille soon too!

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