"Oh! Le petit voyou! Non mais ça va pas de faire des graffitis sur mes murs ?!? Ah, ça va pas se passer comme ça! J’vais appeler la maréchaussée, moi…"
Du calme, Madame Michu… Si ça se trouve, le jeune rebelle qui trouble l’ordre public et défie les autorités – sur votre mur, pas de chance…- est peut-être un immense artiste en devenir.
Prenez le cas de JR – comme le méchant de "Dallas" : Adolescent, il ne trouvait rien de plus malin à faire que de poser des tags assez moches sur les murs de la capitale et de la proche banlieue parisienne, avec une prédilection pour les endroits quasi-inaccessibles, histoire d’y laisser sa "griffe" pendant de longues années. De son propre aveu, il n’était pas doué pour cela, et admirait ceux qui réalisaient des graphes plus évolués, qui avaient pour ambition d’embellir les murs plutôt que de les dégrader, de faire passer un message social et/ou humoristique. Il n’hésitait d’ailleurs pas à suivre ces gens-là – Nomade, Roka, Jonone… – au cours de leurs virées nocturnes.
Puis il a trouvé un appareil photo dans le métro, et, sans jeu de mots, il a eu un véritable déclic artistique. Il s’est mis à prendre en photo ses copains tagueurs ou grapheurs pendant la réalisation de leurs "oeuvres" puis à afficher des copies de ces clichés su les murs parisiens.
Il a continué en suivant les pionniers du street-art à travers le monde, les Banksy, Sheppard Fairey, Blu,… immortalisant de ses clichés l’élaboration de chefs d’oeuvres de l’art urbain. Un peu comme le vrai/faux vidéaste Thierry Guetta (voir notre article sur Faites le mur!)…
Au fur et à mesure, il s’est mis à voir plus grand. Par la taille, déjà, de ses affiches : du format A3 à une taille de panneau publicitaire, voire plus imposant encore.
En 2004, il réalise des portraits de jeunes de la cité des Bosquets, à Montfermeil, qu’il affiche sur les murs de la cité, puis, traversant le boulevard périphérique, sur les murs parisiens.
En 2006, il photographie séparément des palestiniens et des israéliens exerçant un métier commun, puis les affiche côte-à-côte sur les murs de Jérusalem ou sur le mur de séparation israélo-palestinien, des deux côtés. Une façon d’aider, par un biais artistique, à la réconciliation des peuples.
Encore plus fou, le projet Women are heroes l’a conduit à différents endroits du globe. Il a rencontré des dizaines de femmes courageuses, tentant de survivre dans des environnements difficiles et des sociétés dominées par les hommes.
Il a enregistré sur vidéo leurs histoires, leurs témoignages, des favellas de Rio de Janeiro aux rues de New Dehli, en passant par des pays ruinés par les guerres, Cambodge, Libéria, Sierra Leone, et il les a prises en photo, en très gros plan… Puis il a réalisé des tirages gigantesques de ces affiches, sur papier, sur toile, sur stickers et a engagé la population locale pour l’aider à exposer ces visages féminins aux regards magnifiques sur les murs, les toits, les façades d’immeubles, les trains ou les voitures…
Son but : attirer l’attention sur ces femmes blessées par la vie, sur leurs histoires souvent dramatiques, et leur rendre ainsi toute leur dignité.
De cette aventure, JR a tiré un documentaire, qui sort actuellement en salles, et plusieurs expositions sur les murs des capitales occidentales, afin de sensibiliser l’opinion sur les drames qui se nouent ailleurs.
Il a poursuivi ses ambitieuses expérimentations grand format en Suisse, où il a choisi d’exposer des reproductions de trésors de la photographie, signés Man Ray ou Robert Cappa, sur les façades d’immeubles, afin de “redonner leur liberté aux images”. Et actuellement, il semble s’être lancé dans un nouveau projet du même acabit, “Les sillons de la ville”, pour lequel il a photographié des hommes âgés, marqués par les difficultés rencontrées au cours de leurs vies, et les a collé sur les façades d’immeuble anciens, délabrés ou en ruines. Une façon de respecter les vestiges du passé et d’en tirer des leçons pour mieux construire le futur…
Le jeune tagueur rebelle et insolent a su canaliser son énergie créatrice, son sentiment de révolte, et les mettre au service d’une démarche artistique esthétiquement remarquable et humainement utile.
Le numéro hors-série du mensuel “3 Couleurs”, édité par le groupe mk2, se penche sur cette métamorphose et fait le bilan de dix années d’actions culturelles mémorables.
N’hésitez surtout pas à investir vos économies dans l’achat de ce numéro spécial /collector. Pour la modique somme de 6,90€, vous aurez droit à un bel objet en grand format 23×30 cm, sur papier glacé, truffé d’illustrations reprenant les oeuvres de JR et contenant, outre une interview de l’artiste, de beaux textes explicitant sa démarche, signés par des figures du monde de l’art ou du journalisme.
Si vous connaissez déjà le travail de l’artiste, vous devriez apprécier cette publication, véritable régal pour les pupilles…
Et si vous ne connaissiez pas le personnage, voilà qui devrait vous donner une furieuse envie de découvrir le film Women are heroes et les recueils publiés autour des oeuvres de JR, dont la liste est également communiquée dans ce hors-série…
Bref, un achat indispensable pour tout amateur d’art et d’expérimentations visuelles, et pour les fans de cet artiste hors du commun…
”Ah, ben c’est bien beau ça… Mais qui c’est qui va effacer ce tag sur ma porte, hein? Qui, hein? Qui?…”
Euh, Madame Michu, on va se tutoyer, ça sera plus sympa : T’es lourde !
Le magazine
3 couleurs Hors-série #4
– édition bilingue français/anglais – 132 pages – 6,90€
En kiosques depuis le 5 janvier
Les sites à visiter :
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