« – Oh putain, comment il est chaud le dernier épisode de Dexter ?
– Hop, hop, malheureux, n’en dis pas plus, j’l’ai pas encore vu !
– Quoi ?! Mais il est déjà disponible depuis au moins 12 minutes sur e-mule !
– D’une, le téléchargement illégal est un acte condamné par la loi, de deux, j’attends que tout soit dispo’ pour me taper la saison (et le paquet de schokobons) d’une traite ! »
Bah, ouais, moi, j’suis l’gars comme ça : l’éternel impatient incapable de surmonter l’attente imposée entre deux épisodes d’une série.
Et si le principe s’applique plus difficilement aux bandes dessinées (vous imaginez, je n’aurais toujours pas attaqué Donjon et devrais encore attendre 268 albums avant de m’y mettre), les éditions intégrales qui fleurissent un peu partout dans les librairies au moment de noël permettent tout de même d’aller dans ce sens.
Du coup, grâce à l’intégrale de Seuls que le Père Noël m’a déposée quelque peu en avance, j’ai eu l’occasion de découvrir et de m’enchaîner d’un coup tout le premier cycle de cette surprenante série (ainsi qu’un paquet de schokobons).
Surprenante déjà par son histoire : cinq enfants lambda vivant une existence lambda dans une ville lambda se réveillent un matin qui aurait du être lambda… et qui sera pourtant tout sauf lambda ! Ce matin là, tout le monde à disparu, parents, frères, sœurs, voisins, épicier du coin ; les cinq gamins se retrouvent seuls, sans aucun explication, livrés à eux-même dans cette ville étrangement déserte.
Surprenant, non ?
Surprenante, cette série l’est aussi et surtout par son traitement.
D’une part nous avons ces héros, enfants / pré-ados, très (trop ?) archétypaux – du courageux orphelin débrouillard au p’tit con capricieux braillard en passant par la timide intello’ à lunettes – dessinés à la manière ronde et sympatoche du Journal de Spirou, et mis en couleurs à grands coups de vert des champs, de bleu ciel sans nuage, de jaune grand soleil, et de rose jolie princesse ! Ces pré-pubères abandonnés pleurent abondamment sur leur sort, et leur principale préoccupation reste avant tout de trouver leurs parents, voir leur doudou… une BD jeunesse assez classique, pas désagréable, loin de là, mais peu captivante pour les plus grands.
Mais d’autre part, une impression étrange se fait vite ressentir lors de la lecture. Le trait plus réaliste sur certains éléments, le regard menaçant des animaux devenus fous, les ombres inquiétantes se dessinant dans les recoins, le cadrage malin laissant pressentir que ces gamins ne sont peut-être pas si seuls, que quelqu’un ou quelque chose les guette constamment, prêt à bondir à tout moment… Tout n’est peut-être pas si innocent, naïf et enfantin.
Et c’est là que l’édition intégrale prend toute sa valeur : après ce premier tome léger, posant doucement les bases d’une aventure fantastique gentillette et colorée, on s’enchaîne tranquillou le second tome, où nous verrons apparaître un personnage mystérieux, quelque peu flippant et un poil psychopathe sur les bords. Alors sans attendre, on continue avec un troisième opus étonnant, dans lequel se formera une communauté totalitaire aux accents de IIIème Reich avoués, usant de sacrifices animaliers et autres méthodes basées sur la terreur et la cruauté. On se plonge donc impatiemment dans la suite, où l’on découvrira que si jeunes soient-ils, nos héros ne sont peut-être pas si angéliques qu’on aurait voulu le croire, et que même des enfants peuvent saigner, souffrir, et pourquoi pas, mourir. Raaaah, vite, vite, on dévore les dernière pages de ce pavé, pour découvrir la conclusion de ce premier cycle, surprenante, noire et pessimiste ; laissant présager (et espérer) un second cycle de haute volée !
Ainsi, en une soirée, j’ai pu assouvir mon envie de chocolat, la nostalgie de mes jeunes années Spirou, et ma passion pour les longues séries haletantes, en m’enfilant un paquet de shokobons et les quelques 256 pages de cette série maligne et bien ficelée, habile mixe de Lost et de Sa Majesté des Mouches, et ayant su vieillir en même temps que ses premiers lecteurs.
Seuls, Intégrale du Cycle 1, de Gazzotti et Vehlmann (ed. Dupuis – 25 nov.)
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