– Brako, de Hippolyte –

Bien souvent, peut-être trop impatients de découvrir le bouquin qu’ils tiennent entre leurs mains fébriles, les lecteurs ne prêtent aucune attention aux remerciements de l’auteur.
Moi, perso’, j’aime bien m’y arrêter quelques instants, même si la plupart du temps les noms cités ne me disent pas grand-chose.
Or, là, pour le coup, j’y ai trouvé un intérêt tout autre que le simple fait de sustenter ma curiosité de vieille commère (que je suis).

En premier lieu, Hippolyte remercie Hamid Jemaï, l’auteur du roman Dans la peau d’un youv dont est tirée sa bédé.
Beau geste et juste retour, car s’il est en effet bienvenu de rendre à César ce qui lui appartient il est bon de rendre hommage à Hamid pour cette histoire captivante et de ces personnages forts.
Sur fond de braquage d’un fourgon blindé, nous suivrons le destin de quatre jeunes garçons aux caractères diamétralement opposés mais tous aussi intéressants les uns que les autres. Le dangereux Markus, sans attaches et sans rêve, violent, en quête de puissance, et prêt à tout pour imposer le respect par la crainte. Vato, l’esprit sain dans un corps sain, un sportif plein d’avenir et plein de valeurs inculquées par ses parents adoptifs. Le jovial Mehdi, dealer d’infos et dealer de tout, toujours au courant de ce qui se passe dans sa cité comme dans le reste du monde, et capable de se procurer tout et n’importe quoi. Et enfin, le jeune Kalnar, pas loin d’être encore un enfant, innocent et pur, plus spectateur qu’acteur, et qui nous raconte grâce à une voix off intime comment il s’est retrouvé embarqué dans cette danse avec le diable.

Hippolyte remercie ensuite plusieurs artistes de hip-hop pour la bande son, de Nas à Mos Def en passant par The Roots. Des sons que j’aiment, qui me parlent et qui me touchent. Si tel n’est pas le cas pour vous, penchez-vous un minimum sur leurs productions et vous serez vite aiguillés sur l’ambiance de l’album : oppressante, lourde, violente, ancrée dans une sombre réalité et puisant ses racines dans la culture de cité, la dure loi de la rue, la triste hégémonie du gangster, la tentation de l’argent facile, mais aussi les difficultés des gens honnêtes et droits tentant de survivre au mieux dans cette jungle urbaine, leurs rêves de s’en échapper et le peu d’espoir qu’on leur offre.
Un autre groupe me viendrait aussi à l’esprit : NTM, groupe phare de cette culture en France, dont plusieurs morceaux auraient pu trouver leur place dans la BO de cet album, de Qu’est-ce qu’on attend pour foutre le feu ? à Laisse pas traîner ton fils en passant bien sûr par l’Argent pourrit les gens :

« La convoitise perpétuelle des biens de mon prochain ne fait qu’enflammer constamment mon amour pour l’argent. Et pourtant, étant conscient que cette valeur est matérielle rien ne m’arrête pour l’acquérir, donc je me fais prédateur pour une poignée de papiers qui pour un jour ou plus me fera croire que l’argent fait le bonheur. »

Enfin, Hippolyte remercie Gipi, le célèbre dessinateur italien. C’est vrai que l’on peut retrouver dans cet album son sens de la narration stupéfiant et son trait si particulier, brut et sans fioritures, allant à l’essentiel pour mieux exprimer toute la vivacité, le dynamisme, et la gestuelle de ses personnages. Comme Gipi, Hippolyte possède aussi cette maîtrise des postures, des visages, des expressions qui rend si bien compte des sentiments, des tensions, et des silences lourds de sens.
Mais ce qui saute aux yeux, c’est aussi et surtout cette alternance de styles, usant tantôt du lavis et de la sa large palette des gris délavés dépeignant au mieux la pollution crasse de la ville et les ciels chargés où l’orage menace à tout instant ; préférant d’autres fois le stylo bic et ses hachures serrées et agressives collant parfaitement aux scènes les plus cauchemardesques et effrayantes.

Si Hippolyte ne remercie aucun cinéaste, peut-être est-ce parce qu’ils seraient trop nombreux, entre les films cités dans le livre – Heat et ses scènes de braquages, Les Affranchis et ses bad boys si charismatiques, Scarface et la déchéance de Tony Montana – et ceux auxquels on pense en tournant les pages – La Haine pour le côté film de cité, Fargo pour le côté polar dans la neige, l’Impasse pour le côté pessimiste et sans espoir, Romanzo Criminale pour le côté p’tits lascars qui veulent jouer aux grands bandits…

Tant de références, donc, mais tellement bien utilisées, remaniées, mélangées, maîtrisées, et magnifiées, qu’au final, nous, on remercie Hippolyte pour cette œuvre magistrale, puissante, captivante, époustouflante, dérangeante et prenante.

Brako, de Hippolyte (ed. Sarbacane)

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