Quand vient l'automneL’automne, c’est la saison idéale pour aller ramasser des champignons en forêt. C’est aussi la période parfaite pour aller au cinéma, car c’est généralement à cette époque que sortent les films les plus attendus de l’année, après les grands festivals et avant la saison des prix. Le principe est un peu le même. On part un peu à l’aventure zigzaguer entre les arbres aux feuilles rougeoyantes ou entre de nombreux longs-métrages. Mais on le fait en confiance, car avec l’habitude, on a identifié les bons coins ou les bons cinéastes, qui permettent usuellement de ne pas revenir bredouille de la balade. Cela dit, il faut toujours faire le tri entre le bon, le moins bon et le carrément toxique.
Pour critiquer le nouveau film de François Ozon, Quand vient l’automne, qui part justement d’une histoire de champignon, on a choisi de faire dans l’analogie fongique.

Déjà, précisons qu’il ne s’agit pas d’un grand spécimen qui aurait poussé sur la Côte d’Azur, près de la lagune vénitienne ou sur les bords de la Sprée (1). Non, il s’agit d’un petit gabarit, qui s’est épanoui du côté de San Sebastian, en Espagne (2).
Commençons par le mycélium, la base du film. Dans un petit village de la Nièvre (3), Michelle (Hélène Vincent) reçoit sa fille Anne (Ludivine Sagnier), qui vient lui amener son fils, Lucas (Garlan Erlos), pour les vacances de la Toussaint. Si elle est ravie de pouvoir accueillir son petit-fils, Michelle doit en revanche supporter l’attitude de sa fille, qui, dès son arrivée, se montre assez distante et désagréable. En retour de karma, Anne doit être emmenée d’urgence à l’hôpital, victime de violentes crampes d’estomac. Très vite, la cause du malaise est identifiée : un champignon vénéneux égaré accidentellement dans la poêlée de champignons frais préparée par sa mère, qu’elle est la seule à avoir goûtée.
Anne s’en remet vite, après un bon lavage d’estomac, mais son hostilité envers Michelle monte encore d’un cran. Elle décide de ne pas laisser Lucas avec elle et repart à Paris illico.
Cette histoire trouve ses racines dans une anecdote de jeunesse de François Ozon, quand une de ses tantes avait rendu malade l’ensemble de la famille avec des champignons qu’elle avait ramassés elle-même. Mais le reste est une variation autour de la vie qui passe, des choix que l’on fait et que l’on assume, des souvenirs et des regrets, amitiés que l’on se forge, des relations familiales (parfois tendues).

A l’arc narratif reposant sur relation tendue entre Michelle et Anne, François Ozon ajoute une seconde intrigue, articulée autour de la meilleure amie de Michelle, Marie-Claude (Josiane Balasko). Cette dernière a aussi connu quelques difficultés avec son fils Vincent (Pierre Lottin), qui a commis des erreurs de jeunesse l’ayant conduit en prison. Aujourd’hui, le jeune homme s’apprête à retrouver sa liberté après avoir purgé sa peine, bien décidé à se réinsérer. Comme il n’y a pas beaucoup d’emplois vacants dans le village, Michelle décide de l’aider en lui confiant de petits travaux de jardinage chez elle. Et cette décision va avoir des répercussions inattendues sur l’ensemble des personnages.
Ces deux intrigues constituent le pied de notre champignon, assez fin et un peu trop long. Car il faut bien reconnaître qu’il ne se passe pas grand chose, hormis un évènement particulier qui sert de point de bascule au récit. Le film repose moins sur une trame trépidante et tendue que sur les interactions entre les personnages, les émotions ténues qui passent par le jeu des comédiens.

champignons

Ceci correspond au chapeau de notre champignon. Il a fière allure, avec son casting impressionnant et est d’autant plus alléchant que presque tous les acteurs ont brillé sous la direction de François Ozon par le passé : Hélène Vincent, Josiane Balasko et Pierre Lottin jouaient dans Grâce à Dieu, Ludivine Sagnier a travaillé avec le cinéaste dans 8 femmes, Swimming Pool et Gouttes d’eau sur pierres brulantes où elle était partenaire avec Malik Zidi qui incarne ici son ex-mari.
Evidemment, le cinéaste sait comment tirer le meilleur de cette troupe d’acteurs talentueux et filmer leurs visages pour traquer le trouble dans leur regard, les infimes mouvements trahissant des émotions profondes.
Donc on a envie de croquer dedans avec volupté.

Evidemment, de prime abord, c’est savoureux, car Hélène Vincent livre une performance assez remarquable dans la peau de cette femme vieillissante qui a fait ce qu’elle pouvait pour élever sa fille le plus dignement possible, mais au prix de sacrifices personnels et de choix qui pèsent désormais sur sa relation avec celle-ci. Elle restitue parfaitement le désarroi qui envahit Michelle face à la perspective de rester fâchée avec sa fille, mais plus encore de ne plus voir son petit-fils. Comme cette excellente actrice a rarement eu l’occasion de jouer les premiers rôles au cinéma, malgré quelques performances mémorables (La Vie est un long fleuve tranquille, Bernie, Quelques jours de printemps…). Josiane Balasko livre aussi une belle performance dans le rôle de sa meilleure amie, qui endure beaucoup de souffrances psychologiques et physiques. Elle réussit parfaitement à faire exister son personnage avec une économie de mots et de scènes.
Pierre Lottin confirme qu’il vaut bien mieux que le rôle un peu concon qui l’a révélé (le fils aîné de la famille Tuche). Et Ludivine Sagnier parvient en juste trois scène à faire ressentir toute la complexité de son personnage.

Quand vient l’automne est un film parfois dur, mais où l’on ressent toujours une certaine tendresse. Et réciproquement. Fort de ce paradoxe, il révèle un arôme subtil évoquant la complexité des relations humaines.
C’est donc un champignon tout à fait goûteux et pas du tout toxique pour le cinéphile.

Cependant, on aurait aimé un peu plus de puissance, un peu plus de “mâche”. Et peut-être une façon de le préparer un peu plus digeste. Car François Ozon a choisi de rajouter un peu trop de sauce mélo sur l’intrigue principal. Il a ajouté un passé
trouble à Michelle et Marie-Claude, source, finalement, de toute la suite d’incidents qui structure le récit, eux mêmes de nature à tirer les larmes du spectateur. En analysant plus cliniquement le mélange, on peut trouver cela trop lourd, car il y a beaucoup trop de matière dramatique. Chez d’autres cinéastes, cela ne passerait pas du tout. Ici, on réussit à le supporter parce que François Ozon ne verse jamais dans le pathos. Tout reste assez pudique. Mais c’est vraiment limite, parfois, surtout quand il ajoute de la musique à message par-dessus (la scène de danse sur le “Aimons-nous vivants” de François Valéry…).

En bref, Quand vient l’automne n’est ni une morille, ni un cèpe, ni une des pièces maîtresses de la filmographie de François Ozon, car plombé par une structure un peu trop mélodramatique. Mais ce n’est pas non plus un de ces champignons de Paris cultivé en cave, insipide et terne. C’est une oeuvre tout à fait honorable, qui tient surtout par les interactions des comédiens et la façon de filmer du cinéaste, à bonne distance.

(1) : La rivière qui traverse Berlin
(2) : Le film était en compétition au festival de San Sebastian, où il a remporté deux prix, celui du meilleur second rôle pour Pierre Lottin et celui du meilleur scénario pour François Ozon et Philippe Piazzo
(3) : Donzy, près de Cosne-sur-Loire, où on trouve un excellent producteur de canards et oies,
Frédéric Coudray. C’est l’occasion de lui faire un peu de publicité.


Quand vient l’automne
Quand vient l’automne

Réalisateur : François Ozon
Avec : Hélène Vincent, Josiane Balasko, Pierre Lottin, Garlan Erlos, Ludivine Sagnier, Malik Zidi, Sophie Guillemin, Paul Beaurepaire
Genre : Fricassée de champignons sauce mélo
Origine : France
Durée : 1h42
Date de sortie France : 02/10/2024

Contrepoints critiques :

“Dans une réalisation très sobre, mais pleine de clins d’œil, qui évoque les univers de Simenon pour la littérature ou de Chabrol pour le cinéma, Ozon déploie son récit par petites touches, dans un rythme très lent, en accord avec le grand âge et la mélancolie de l’automne.”
(Laurence Houot – France info)

”Petit film du dimanche soir, à regarder avec ses parents ou ses grands-parents pour débattre de la toxicité des liens familiaux, cet Ozon nouveau sent déjà le renfermé. L’automne est une saison tout en nuances qui méritait mieux qu’un film vieillot.”
(Jérémie Couston – Télérama/critique “contre”)

Crédits photos : copyright 2024 – FOZ- FRANCE 2 CINEMA – PLAYTIME

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