Présence Une famille s’installe dans une nouvelle maison, dans une petite ville du New Jersey. On comprend que les parents, Chris (Chris Sullivan) et Rebekah (Lucy Liu) ont choisi le lieu autant pour permettre à leur fils aîné, Tyler (Eddie Maday), de pouvoir se concentrer sur ses performances sportives, que d’aider leur cadette, Chloe (Callina Lang), à surmonter la mort de sa meilleure amie, Nadia, victime d’une overdose fatale quelques semaines auparavant.
Si tout le monde trouve rapidement ses marques dans cette nouvelle maison, malgré les différents problèmes professionnels ou personnels pesant sur la famille, Chloe ne se sent pas très à l’aise. Elle est persuadée qu’une présence flotte autour d’elle. Elle se sent épiée et a l’impression que des objets changent de place tout seuls. S’agirait-il du fantôme de Nadia? D’un autre esprit? Et dans tous les cas, s’agit-il d’une présence amicale ou agressive?

Avec Paranoïa, Steven Soderbergh avait réalisé un thriller malin, en à peine dix jours et avec un i-phone pour seule caméra. Tout reposait uniquement sur le jeu de Claire Foy, qui incarnait une femme placée en hôpital psychiatrique, persuadée d’être poursuivie par un harceleur, sur le format atypique des images prises avec le smartphone, qui créaient une ambiance anxiogène, et la mise en scène de Soderbergh, qui entretenait le trouble sur l’état mental du personnage principal.
Dans Présence, le dispositif est du même acabit. Il s’agit d’une intrigue à huis-clos, tournée intégralement dans la maison achetée par les personnages. Le cinéaste y accumule de longs plans séquences, tournés avec une caméra Sony DSLR ultra-légère, ce qui lui permet de passer d’une pièce à l’autre avec beaucoup de fluidité, comme si le personnage principal était la présence fantomatique hantant les lieux en flottant au-dessus du sol. Cette fois-ci, il ne mise pas du tout sur l’ambiguïté. Si Chloe ne va pas bien psychologiquement, il ne fait très vite aucun doute que la présence qui erre dans la maison est tout sauf le fruit de son imagination. Il s’agit bien d’un revenant. Tout l’enjeu est de savoir qui est ce fantôme, pourquoi il est dans l’incapacité de quitter les lieux, et quelles sont ses intentions vis à vis des membres de la famille.

Attention, si vous vous attendez à un film fantastique conventionnel, avec séquences paranormales flippantes et effets destinés à faire sursauter le chaland, vous risquez fort d’être déçus. Si la présence manifeste un ou deux gestes d’humeur en faisant valdinguer un ou deux meubles et des objets de petite taille, il apparaît bien vite qu’elle ne cherche pas querelle aux occupants des lieux. Peut-être parce qu’elle ne tient pas à se faire aspirer par les ghostbusters ou exorciser par les époux Warren. Plus sûrement parce que le cinéaste a d’autres ambitions avec ce long-métrage.
Soderbergh nous place en effet, nous spectateurs, dans la peau de ce fantôme. Nous nous déplaçons avec lui, en caméra subjective, et nous observons exactement les mêmes choses que lui, avec la même indiscrétion et sans pouvoir intervenir auprès des personnages dans le champ de vision. Pourtant, la sensation qu’un drame est en train de se nouer monte peu à peu. Il est rapidement clair que cette famille est au bord de l’implosion. Rebekah semble en difficulté au travail, à cause d’irrégularités dans sa gestion d’un dossier. Son mari s’en inquiète et envisage probablement de la quitter pour éviter tout problème. En tout cas, ils ne semblent jamais vraiment sur la même longueur d’onde, et apparaissent d’ailleurs rarement ensemble à l’écran. Tyler est l’enfant préféré de sa mère et en joue un peu trop fréquemment. Il se conduit souvent de manière immature, égoïste et même odieuse avec une de ses camarades, qu’il humilie publiquement (ce qui semble mettre le fantôme hors de lui puisqu’il s’agit d’un de ses rares gestes d’humeur…). Chloe, elle, souffre de la situation et traîne son spleen depuis la mort de deux de ses camarades. On devine qu’il y a beaucoup de non-dits et de frustrations entre les membres de la famille et qu’un petit rien pourrait provoquer le drame – un enfanticide, un parricide, des suicides…
On se laisse aussi gagner par l’inquiétude quand les parents se montrent un peu trop proches de leurs enfants, provoquant un certain malaise : la discussion entre Rebekah et son fils, où elle se montre un peu trop excessive dans ses sentiments; l’irruption du père dans la chambre de Chloe, laissant craindre là aussi un geste déplacé… Il y a aussi Ryan, le meilleur ami de Tyler, qui tient des propos parfois étranges et malaisants autour du “contrôle” que les gens ont sur lui et sa volonté manifeste d’y échapper. En fait, le danger pourrait survenir de différentes situations apparemment anodines et bien ancrées dans le réel. En tout cas bien plus que de cette présence fantomatique apparemment assez discrète, qui reste le plus souvent sagement confinée dans le placard de Chloe.

C’est toute l’originalité de ce film, qui propose un récit où la terreur est plus souterraine, plus feutrée et plus réaliste, en tout cas en phase avec certains faits divers récents. Certains n’auront probablement pas la patience d’attendre le moment où les choses commencent à s’emballer un peu, dans le dernier quart d’heure, et encore moins le dénouement et un twist final assez audacieux (bien qu’assez prévisible au vu des indices glissés ça et là). On peut les comprendre. Mais il ne fallait pas s’attendre à ce qu’un auteur comme Soderbergh signe un banal film de maison hanté, avec péripéties stéréotypées et effets horrifiques gratuits. Pas plus qu’il ne fallait penser que le scénariste David Koepp n’aborde le thème de la même façon que par le passé. Il a bien signé quelques histoires de fantômes, mais toutes dans des registres différents (Hypnose, adapté d’un roman de Richard Matheson, La Ville fantôme, comédie fantastique avec Ricky Gervais,…).

Ce qui impressionne le plus ici, c’est la présence de Soderbergh derrière la caméra, et ce dispositif ingénieux qui permet de donner des angles de vue inédits et intéressants, modifiant la perception des choses, comme la taille des personnages, par exemple, qui peuvent sembler disproportionnés par moments – un effet que l’on peut trouver aussi dans quelques films de Yorgos Lanthimos, dont Kinds of kindness, qui aime lui aussi jouer sur la distorsion de l’image avec des caméras différentes.
Si le film ne provoque pas à certains cinéphiles leur dose de frissons, ils pourront au moins se consoler avec la virtuosité de l’ensemble.

On est heureux de voir le cinéaste américain continuer d’enchaîner les films, année après année. Il avait pourtant annoncé au milieu des années 2010 sa décision de prendre sa retraite cinématographique. Mais après une brève période d’inactivité, il a remis cela et enchaîne les films pour le plaisir, en continuant toujours à expérimenter et à raconter des histoires qui lui tiennent à coeur. Cette présence-là met du baume au coeur.


Présence
Presence

Réalisateur : Steven Soderbergh
Avec : Callina Lang, West Mulholland, Eddie Maday, Lucy Liu, Chris Sullivan, Natalie Woolams-Torres, Julia Fox
Genre : Paranormal visibility
Origine : Etats-Unis
Durée : 1h25
Date de sortie France : 05/02/2025

Contrepoints critiques :

”Le dispositif lasse rapidement.”
(Etienne Sorin – Le Figaro)

”Huis clos conceptuel, donc, écrit par le scénariste David Koepp (« Panic Room »), dont on se demande ce que Soderbergh cherche à faire. Une satire familiale ? Amusante. Un thriller surnaturel ? Raté. Un drame de la soumission chimique ? Un peu court.”
(Nicolas Schaller – L’Obs)

Crédits photos : Copyright The Spectral Spirit Company

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Rédacteur en chef de Angle[s] de vue, Boustoune est un cinéphile passionné qui fréquente assidument les salles obscures et les festivals depuis plus de vingt ans (rhôô, le vieux...) Il aime tous les genres cinématographiques, mais il a un faible pour le cinéma alternatif, riche et complexe. Autant dire que les oeuvres de David Lynch ou de Peter Greenaway le mettent littéralement en transe, ce qui le fait passer pour un doux dingue vaguement masochiste auprès des gens dit « normaux »… Ah, et il possède aussi un humour assez particulier, ironique et porté sur, aux choix, le calembour foireux ou le bon mot de génie…

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