Pour sa deuxième édition, le PIFFF a vu plus grand. Dix jours au lieu de cinq précédemment, une salle plus grande, une sélection de films très différents les uns des autres, et autant d’approches du genre fantastique.
Cette volonté de brasser large, en incluant des films aux arguments fantastiques ou horrifiques parfois très discrets, s’est beaucoup ressentie dans la section des longs-métrages en compétition, qui comportait des oeuvres très disparates, n’hésitant pas à mélanger les genres: films fantastiques purs, thrillers plus ou moins horrifiques, chroniques intimistes, comédie noire, science-fiction… De quoi satisfaire bien des amateurs (et faire enrager d’autres…)
Commençons donc notre compte-rendu de ce festival en nous intéressant aux films en compétition officielle.
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“Here comes the devil” d’Adrian Garcia Bogliano
Le premier film en compétition démarre sur les chapeaux de roues avec une scène d’ébats lesbiens fort émoustillante, immédiatement suivie d’une agression spectaculaire et sanglante. Sympathique, mais totalement vain, car sans aucun rapport avec le reste du film d’Adrian Garcia Bogliano, si ce n’est le mélange de sexe, d’amours interdits et de violence…
On continue l’histoire avec un couple et leurs deux enfants, partis se balader sur une colline, dans un petit bled mexicain. Une sortie éprouvante et mouvementée, car la jeune fille a ses premières règles et que le couple doit expliquer le phénomène aux deux enfants. Une fois la fillette nettoyée et rassurée, les parents s’accordent une petite sieste pendant que leurs rejetons partent explorer les environs. Quand ils se réveillent, les gamins ont disparus.
Angoisse, attente interminable… On finit par les retrouver le lendemain, sains et saufs. Mais quelque chose semble différent chez eux. Une visite chez le psychologue laisse à penser que les enfants ont subi des violences sexuelles.
Dans le même temps, des phénomènes étranges se produisent dans l’environnement de la famille…
Le lien que le cinéaste a essayé de créer entre sexualité et fantastique était intéressant – c’est d’ailleurs ce qui a poussé les programmateurs du PIFFF à le sélectionner – le résultat l’est moins, hélas…
Avec un tel sujet, il aurait été intelligent de semer le doute dans l’esprit du spectateur, d’évoluer à la frontière entre le symbolisme psychanalytique et la fable fantastique, semer le trouble sur ce qui nous est donné à voir. Mais le cinéaste opte finalement pour une approche au premier degré de l’intrigue, met en scène une banale histoire de possession, au déroulement prévisible.
Il est toujours possible de voir dans ce récit l’allégorie du passage à l’âge adulte, avec la perte de l’innocence enfantine, ou, plus pervers, une histoire d’inceste frère-soeur aux conséquences terribles, mais globalement, le film s’avère assez tristement plat dans sa construction narrative.
Et le rythme bancal du film n’arrange rien, pas plus que les effets visuels fauchés et le manque de sensations fortes au menu.
Passées les deux premières séquences “chaudes”, l’aspect sensuel de l’oeuvre s’évanouit lentement et il n’y a plus grand chose d’émoustillant à se mettre sous les yeux. Et, côté violence, hormis un ou deux éclairs de violence, le film reste finalement assez sage.
Le cinéaste semble avoir préféré se concentrer sur le côté inquiétant des deux enfants, dont le regard froid et déterminé évoque celui des gamins de films comme Les révoltés de l’an 2000 ou Le Village des damnés. Enfin, on ne va pas trop s’amuser à faire des comparaisons hasardeuses qui seraient fatalement en défaveur de ce petit film mexicain. Ce genre d’analogies hasardeuses, c’est la grande spécialité de Fausto Fasulo, le directeur artistique du festival, qui n’a pas hésité à rapprocher ce long-métrage des films de Richard Stanley ou d’Alejandro Jodorowsky. Euh… pas trop en fait…
On aurait bien voulu, mais c’est loin d’être du même calibre…
On ne dit pas que c’est complètement nul, contrairement à certains de nos confrères, parce que le cinéaste va au bout de son idée avec les moyens du bord, mais force est de constater que ce n’est pas spécialement emballant non plus…
Note : ●●○○○○
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“Stitches” de Conor McMahon
Les clowns et le cinoche fantastique, ça fait souvent bon ménage. On se rappelle du clown qui terrifiait la petite Heather O’Rourke – et nous avec – dans Poltergeist, du clown sadique de Ca, “Il” est revenu, du Captain Spaulding de Rob Zombie, qui ne ressemble pas vraiment au personnage campé par Groucho Marx dans Animal crackers, des clowns psychopathes de Clownhouse de Victor Salva, ou, sur le mode un peu plus comique, les excellents Killer Clowns from outer-space (dont on attend la suite en 3D pour 2013, pour les fans…).
Une nouvelle preuve nous en est donnée avec Stitches, un slasher à l’ancienne truffé d’humour noir et d’effets gore rigolos.
L’intrigue tourne autour des méfaits d’un clown lubrique et alcoolique, décédé accidentellement pendant un goûter d’enfants, et revenu d’entre les morts pour terminer sa représentation, dix ans après, avec des numéros un peu plus saignants… Ouh, le méchant clown!
Euh… En fait, on comprend tout a fait qu’il mette un point d’honneur à se venger des affreux gamins qui lui servaient de public au moment de sa mort, vu qu’ils en sont directement la cause. Ah, les petits saligauds, les sales gosses, les petits cons! Lui qui avait dû écourter une partie de jambes en l’air pour aller essayer de divertir les invités de la party d’anniversaire du petit Tom s’est retrouvé confronté à la méchanceté de petits ingrats s’ingéniant à ruiner tous ses tours, se moquer de lui et tout faire pour lui pourrir la vie. Jusqu’à lui faire perdre… En le faisant tomber à la renverse, pile sur un couteau de boucher qui traînait par là, lui transperçant l’oeil et la cervelle. Rest in peace, Bozo!
Aussi, quand dix ans plus tard, Tom surmonte réussit à surmonter son traumatisme et à organiser une party pour son anniversaire, invitant ses vieux copains et quelques dizaines de teenagers parasites, Stitches se sent obligé de venir finir sa représentation interrompue, et cette fois-ci, cela va être moins drôle pour les ex-petits morveux, devenus des ados tout aussi insupportables.
Enfin, quand on di que ça va être moins drôle, c’est pour eux, hein… Parce que pour le spectateur amateur d’humour macabre et de comédie noire, c’est un vrai plaisir.
Le personnage du clown tueur, campé par Ross Noble, s’invite à la table des grands croquemitaines du cinéma horrifique, entre Freddy Krueger et Jason Vorhees, en enchaînant des mises à mort plus tordues les unes que les autres, avec une bonne dose d’ironie et de cruauté, et beaucoup d’inventivité.
Il faut le voir punir un obèse en lui transformant la boîte crânienne en pot de glace, gonfler la tête d’un jeune crétin façon ballon de baudruche, nouer la silhouette d’un petit chien avec un morceau d’intestin arraché à la source ou démontrer que les chats n’ont que neuf vies…
La référence à Jason et Freddy, les deux figures majeures du slasher des années 1980/1990 – avec le Michael Myers des Halloween – est clairement revendiquée par le cinéaste. Comme Jason, Stitches sort de sa tombe pour aller massacrer du teenager à l’arme blanche. Et lors de la cérémonie de la secte des clowns, leur chant ressemble furieusement au “Ki ki ki ma ma ma” composé par Harry Manfredini pour la série des Vendredi 13.
Comme Freddy – dans les épisodes qui ont suivi Les Griffes de la nuit – le clown croquemitaine joue avec ses victimes, fait preuve d’imagination en les attaquants sur leurs points faibles, avec un humour décapant.
La réalisation s’inscrit elle aussi dans une logique “vintage” années 1980. Les mouvements de caméra sont calqués sur ceux des classiques du genre, les effets spéciaux sont réalisés “à l’ancienne”, sans recours au numérique. Et le cinéaste ne s’interdit aucun des clichés inhérents à ce type de film, mais pour mieux les contourner, pour mieux en jouer.
Il y a de la malice en Conor McMahon. On la ressent lors de quelques transitions amusantes, quand par exemple l’image d’un oeuf cassé sur une poelle chaude succède à celle d’un bouton d’acné que l’on perce. Ou lors de séquences délicieusement absurdes, comme cette course-poursuite en… tricycle!
Bon d’accord, Stitches n’est ni un chef d’oeuvre cinématographique, ni un modèle de film estampillé Art & Essai. Mais c’est une petite série B sans prétention, très fun, semblable à celles auxquelles le fantasticophile des années 1980 s’abandonnait avec un plaisir coupable.
On aime bien…
Note : ●●●●○○
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“The Cleaner” d’Adrian Saba
Un homme est en train de fumer sur le bord d’une autoroute près de Lima, au Pérou. A cette heure avancée de la nuit, seuls quelques rares véhicules circulent encore. L’homme prend le temps de savourer sa cigarette. La scène dure, s’étire au maximum. Soudain, il se jette sous une voiture et décède sur le coup.
Quelques heures plus tard, une fois que la police a fait son travail, l’agent de nettoyage prend le relais.
L’homme s’appelle Eusebio. Il est employé par l’hôpital pour effacer les traces d’accidents ou de suicides, ou pour désinfecter les lieux potentiellement contaminés par des virus et des bactéries… Ces derniers temps, il a beaucoup de travail. Une curieuse épidémie semble décimer la population, touchant essentiellement les hommes adultes. Les victimes sont frappés par une sorte d’infection pulmonaire fulgurante et décèdent quelques heures après les premiers symptômes. Certains préfèrent se suicider plutôt que se laisser emporter par la maladie.
Eusebio reste imperturbable. Il effectue son travail consciencieusement, avant de retrouver sa petite routine quotidienne – rentrer chez lui, jeter les clés sur la table de l’entrée – et les regarder tomber, toujours – se désinfecter soigneusement, prendre une douche et dîner seul en écoutant les nouvelles à la radio…
Un jour, en faisant le “ménage” chez une victime de l’infection, il découvre un petit garçon du nom de Joachim. Les enfants étant immunisés contre le virus, le gamin est parfaitement sain et sauf, mais il n’a plus personne pour veiller sur lui. Eusebio essaie de le confier aux services sociaux, mais ceux-ci sont débordés par l’épidémie, tous les centres d’accueil sont pleins, tous les orphelinats également. Alors, Eusebio décide d’héberger l’enfant le temps de retrouver ce qu’il reste de sa famille.
Entre Eusebio le taiseux et Joachin le froussard, une amitié va progressivement se nouer, lentement, et cette rencontre va changer leurs vies…
Lentement, oui, c’est le mot. Car le film se démarque par un rythme très lent, qui n’effraiera pas les cinéphiles rompus aux mises en scène Art & Essai, mais désarçonnera probablement les amateurs de cinéma de genre pur et dur.
D’ailleurs, certains penseront que The Cleaner n’est pas un vrai film fantastique, car le seul argument qui le rattache au genre est cette idée de “film d’infectés”, à la mode depuis quelques années, avec les 28 jours plus tard, The Crazies, Rec, Phénomènes & co… Un argument bien mince, car le film ne comporte aucune attaque de zombie hargneux, aucune scène de décès cradingue comme dans Contagion, aucune scène un tant soit peu spectaculaire…
Mais, de notre point de vue, c’est justement cela qui en fait un film d’anticipation efficace. Réfléchissons deux secondes. Si un virus venait à décimer la population mondiale, il est peu probable que les malades se transforment en cannibales enragés, que les gens paniquent au moindre éternuement ou que Dustin Hoffman ne sauve tout le monde en créant un vaccin express. Non, au début, les gens tomberaient un à un, sans se rendre compte de l’ampleur prise par la pandémie. Les médecins, pris au dépourvu, essaieraient de faire face à l’afflux de patients, sans être en mesure de faire des miracles, et la majeure partie de la population continuerait sa petite vie routinière comme si de rien n’était. Comme dans le film d’Adrian Saba, qui, du coup, s’avère assez crédible.
Et c’est en travaillant sur la forme du film que le jeune cinéaste parvient à créer une ambiance particulière, au parfum d’apocalypse. Il y a déjà le rythme très lent, qui donne l’impression d’un temps suspendu, comme les derniers instants d’une humanité condamnée. Mais aussi le choix d’une photographie aux tonalités assez ternes, déprimantes. Et enfin, le parti-pris de n’utiliser que des plans fixes, très épurés, dans lesquels n’apparait quasiment que le personnage principal. Une façon subtile de montrer les ravages de l’épidémie…
Oui, même si The Cleaner tient plus de la chronique intimiste que du film d’anticipation, il possède un ton particulier, lancinant et désespéré, qui légitime sa sélection dans ce festival.
C’est un joli film, qui souffre de quelques défauts inhérents à son manque de moyens et à la jeunesse de son cinéaste, mais qui révèle un talent à suivre.
Le jury du PIFFF lui a adressé un encouragement en lui offrant le Prix du Jury.
Note: ●●●●○○
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“Citadel” de Ciaran Foy
Après quelques années de disette sur le front du fantastique, le cinéma d’Outre-Manche s’est clairement refait une santé.
Outre la renaissance de la Hammer, nous avons pu assister à l’émergence de jeunes talents comme Christopher Smith (Severance, Black Death), Neil Marshal (The Descent), James Watkins (Eden Lake, La Dame en noir), Joe Cornish (Attack the block)…
A ces noms, il faudra ajouter celui de l’irlandais Ciaran Foy qui, avec Citadel, signe un film fantastique puissant, intense, au premier degré, qui s’appuie à la fois sur un univers onirique/cauchemardesque peuplé de monstres hideux et sur un certain réalisme social.
Le film commence par une scène-choc. Tommy, un jeune homme sur le point de devenir père, charge la voiture avec les affaires dont son épouse aura besoin à la maternité, puis remonte la chercher, dans les derniers étages de la tour HLM qu’ils habitent. Il arrive juste au moment où sa femme se fait agresser par une bande de jeunes voyous encapuchonnés, mais n’a pas le temps d’intervenir. A l’hôpital, les médecins parviennent à sauver l’enfant, mais pas la mère.
Tommy, traumatisé par cette agression sauvage, devient agoraphobe. Il s’accroche pour ne pas perdre pied, et pour pouvoir élever sa petite fille.
Quand il parvient à suffisamment surmonter sa phobie, au moins le temps de faire quelques pas dehors sans tourner de l’oeil, on l’envoie dans son nouveau domicile, un pavillon miteux au pied des tours, le temps de le placer dans un autre quartier plus accueillant.
Dès le premier soir, la tension monte. Tommy est persuadé que les voyous rôdent autour du domicile, pour lui enlever sa fille…
La première moitié du film est formidable. Pour son coup d’essai, Ciaran Foy frôle le coup de maître. On est immédiatement happé dans ce récit, contraints de s’identifier au personnage principal (joué par Aneurin Barnard, une révélation) ou du moins, d’éprouver de l’empathie à son égard. Comment ne pas être ému par sa détresse quand il apprend à la fois la mort de sa femme et la mort de sa fille? Comment ne pas avoir envie de le soutenir quand il se fait violence pour surmonter son agoraphobie et réapprendre à vivre, pour sa petite fille?
Intelligemment, le cinéaste adopte son point de vue et, ainsi, nous communique ses angoisses, ses peurs les plus profondes, qui éclatent dès son retour au bercail. Le jeune homme est rapidement persuadé que les voyous qui ont tué sa femme sont revenus le harceler. Bruits suspects, ombres de silhouettes encapuchonnées passant devant les fenêtres,… La tension monte lentement mais sûrement, d’autant que la porte d’entrée ferme mal et ne résisterait pas bien longtemps à une tentative d’intrusion. Et le fait que Tommy ne puisse pas sortir de chez lui sans éprouver le vertige le rend particulièrement vulnérable.
On se demande toutefois si les craintes du jeune homme sont fondées. Ces bruits, ces ombres, ne seraient-ils pas le fruit de son imagination? Peut-être n’est-il pas encore prêt à vivre une vie normale après le drame qu’il a vécu…
Et on se le demande encore plus quand on réalise que les agresseurs n’ont pas tout à fait apparence humaine. Ce sont des créatures mutantes, quelque part entre les infectés de 28 jours plus tard et les créatures aveugles de The Descent, hargneuses et violentes…
Tant que le cinéaste laisse planer le doute sur ce que nous voyons à l’écran, le film est des plus convaincants. Il tient exclusivement sur les peurs primales du personnage : Peur du monde extérieur, peur des “Autres”, peur de la Citadelle, bâtiment inquiétant qui surplombe le quartier, peur de ne pas être à la hauteur en tant que père, peur de perdre son enfant, peur de basculer dans la folie… Des peurs terriblement communicatives.
Et la matérialisation de ces peurs, ces junkies étranges dont on ne voit pas le visage, la plupart du temps, est également bien flippante.
Et puis, patatras, le cinéaste choisit de s’aventurer plus franchement dans le fantastique pur et dur. Plus question de douter du côté surnaturel des créatures qui hantent Tommy. Ciaran Foy les définit clairement comme des créatures monstrueuses qui kidnappent les nourrissons et viennent tourmenter les honnêtes gens.
Il pose ainsi les bases de la deuxième partie du film, l’inévitable affrontement entre Tommy et ses démons – au sens propre comme au figuré – là où tout a commencé, dans la Citadelle. Une deuxième partie qui, hélas, s’avère un peu moins convaincante que la première, car elle repose sur des effets horrifiques plus conventionnels et elle n’est pas dépourvue d’un certain nombre de maladresses. Oh, techniquement, il n’y a rien à redire. Le film reste parcouru par la même tension et ménage quelques séquences flippantes du plus bel acabit. C’est plus sur le plan narratif que le bât blesse, avec l’apparition d’un prêtre adepte des exorcismes expéditifs, à coups de flingue ou de dynamite. Un personnage qui change légèrement la perspective du film, jusque là centrée sur Tommy, et qui fait définitivement basculer le récit dans le fantastique, réduisant considérablement la possibilité de lecture intimiste et psychologique de l’oeuvre.
On se consolera avec l’aspect social de la fable proposée. Le film se passe dans un milieu modeste, voire clairement défavorisé. Pour décrire l’horreur sociale que vivent des milliers de gens au quotidien, il dépeint ce quartier pauvre comme un no man’s land, avec ses tours inquiétantes, ses appartements sordides, ses habitants morts-vivants, ses junkies dangereux et ses enfants sacrifiés. Le message est clair, net et précis. Si on ne veut pas voir ces ghettos continuer à grandir, il faut trouver des solutions pour permettre aux gens modestes de quitter cette misère et de pouvoir faire grandir leurs enfants dans un environnement plus sain, plus sûr. Aborder une telle thématique dans un premier film, à fortiori dans un film de genre, c’est quand même un pari sacrément gonflé, que Ciaran Foy tient sans aucun problème. Chapeau!
On lui pardonnera donc la petite faute de goût scénaristique commise, même si elle réduit sensiblement l’amplitude du film, pour ne retenir que ses très nombreuses qualités de l’oeuvre. En tout cas, on a le sentiment très net d’assister là à la naissance d’un auteur terriblement intéressant, dont on attend désormais les prochains films avec impatience.
Et apparemment, nous ne sommes pas les seuls puisque les festivaliers l’ont plébiscité en lui accordant le Prix du Public.
Note : ●●●●●○
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“In their skin” de Jeremy Power Regimbal
L’idée de l’ intrusion d’individus malveillants dans votre domicile, où vous pensiez pourtant être en sécurité, possède un fort potentiel anxiogène. Le cinéma l’a bien compris, puisque le genre “home intrusion” a inspiré de nombreux réalisateurs, y compris des auteurs aussi respectables que Sam Peckinpah (Les Chiens de paille), David Fincher (Panic room) ou Michael Haneke (les deux versions de Funny games). Autant dire que passer après ceux-là, et toute une flopée de séries B honorables construites sur le même moule, n’est pas évident. Du moins, il est difficile de proposer quelque chose d’original.
Jeremy Power Regimbal a néanmoins le mérite d’essayer. Il confronte un couple, Mark & Mary, et leur jeune fils, venus se reposer dans leur résidence secondaire après un drame familial éprouvant, à un groupe de psychopathes animés des plus mauvaises intentions. L’originalité de l’histoire vient du fait que les assaillants, de prime abord, ont l’air tout à fait inoffensifs. Il s’agit d’une famille ressemblant un peu à la leur. Un couple et un garçon du même âge. Un peu envahissants, certes, comme peuvent l’être certains voisins, mais plutôt courtois et sympathiques. Le couple se sent même obligé de les inviter à dîner, pour faire un peu mieux connaissance. Ils ne seront pas déçus. Leurs invités sont en effet des marginaux dont le passe-temps est de massacrer des familles pour prendre leur place, leur voler leur identité, leur vie, leur maison, leurs biens… Une nuit de cauchemar commence…
L’idée de base est intéressante. Le film, lui, est plus banal. Le cinéaste semble constamment hésiter entre plusieurs options narratives, sans réussir à trancher. On a la désagréable impression qu’il ne sait pas où il va. Après une entrée en matière un peu longue, il ébauche la trame d’un film malsain, brutal et froid, dans la lignée de Funny Games ou de Los Bastardos, avec notamment une scène audacieuse où les agresseurs, gamin compris, contraignent Mark et Mary à faire l’amour devant eux. A partir de là, on s’attend à ce qu’il aille encore plus loin dans l’horreur et la perversité, qu’il nous surprenne, qu’il nous malmène. Mais le film retombe dans une succession de péripéties beaucoup plus soft, et relativement classiques, avec happy end de rigueur. Frustrant, d’une certaine façon…
Cela dit, ce n’est pas trop mal fichu. L’action nous prend quand même aux tripes, la tension est palpable, servie par un casting plutôt bien trouvé, avec l’excellente Selma Blair et le fadasse Joshua Close dans le rôle des victimes, James d’Arcy, Rachel Miner et le jeune Alex Ferris dans le rôle des bourreaux.
On peut donc trouver dommage que le film ne s’élève pas plus haut que le simple exercice de style et ne cherche pas à mieux à exploiter son concept de départ et la charge sociale qui y est associée. Il aurait été intéressant d’intégrer le comportement de ces psychopathes obsédés par la réussite, qui veulent continuer à s’élever socialement en volant à chaque fois les vies de personnes plus aisées dans une réflexion plus vaste sur la société libérale et le modèle économique américain. Hélas, le cinéaste préfère se concentrer sur sa partie thriller, sans prendre le moindre risque. Il se contente d’une petite série B bien fade, copie de copie de bien d’autres films de même calibre, qui ne restera probablement pas longtemps dans nos mémoires de cinéphiles…
Note : ●●●○○○
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“Crave” de Charles De Lauzirika
Une fois n’est pas coutume, notre ami Fausto a tenu à comparer le film à une illustre référence cinématographique. Rien moins que Taxi driver…
Inutile de préciser que Crave, en dépit de qualités artistiques réelles, dont la superbe mise en image de William Eubank, est loin de posséder la puissance du film de Scorsese, et que le pauvre Josh Lawson, qui fait ce qu’il peut, n’a rien d’un Robert de Niro. Euh, ‘scuse me, you talkin’ to me?
Ce qui est intéressant, dans la présentation de Fausto, c’est de noter qu’il se réfère à un film qui n’est absolument pas un film d’horreur. Comme The Cleaner, Crave s’apparente plus à une chronique intimiste qu’à un pur film fantastique ou horrifique.
C’est avant tout l’histoire d’un looser, Aiden, un pauvre type qui crève de solitude. Il n’est pas très beau, mais n’est pas moche non plus. Simplement, il est très maladroit avec les femmes, trop timide ou trop brouillon. Et son métier, photographe de scènes de crimes, ne lui permet pas vraiment de faire de belles rencontres. Pas simple de draguer une fille au-dessus d’un cadavre tout frais à la lumière des gyrophares des voitures de police… Et pas si simple de se faire des amis non plus.
Son seul copain est un vieux flic qu’il croise souvent pour le boulot, et avec qui il va parfois parier sur des courses de chevaux.
En même temps, ce qu’il voit des autres ne l’incite pas vraiment à se lier d’amitié avec eux. Il est révolté par ce qu’il voit au quotidien : l’impolitesse, les incivilités, les agressions,… Aiden aimerait réagir, mais il est trop lâche pour cela.
Alors il fantasme sur ce qu’il ferait aux voyous et aux criminels qui croisent sa route. Il se rêve chevalier servant flinguant les nuisibles – ou les découpant à la tronçonneuse, c’est plus fun – pour sauver des demoiselles en détresse. Des demoiselles qui, dans son imagination, ne manquent jamais de le récompenser de sa bravoure en lui adressant quelques baisers, et plus si affinités.
Un jour, deux évènements viennent bousculer sa petite vie tranquille.
D’une part, il rencontre Virginia, sa jeune et belle voisine. En pleine crise de couple, celle-ci n’hésite pas à se venger de son copain en tombant dans les bras de Aiden. Et pour une fois, le brave garçon n’a pas à fantasmer ses ébats avec l’objet de son désir. Très vite, il envisage de construire enfin une vraie relation de couple avec elle. Mais celle-ci n’est peut-être pas sur la même longueur d’onde…
D’autre part, il assiste à un braquage violent, aux premières loges, et ramasse le flingue abandonné par le malfrat en fuite. Se sentant plus fort avec cette arme à feu en sa possession, Aiden pourrait être tenté de mettre en pratique ses fantasmes de justicier dans la ville.
En fait, Fausto Fasulo ne s’est pas trompé de beaucoup. C’est bien un film de Scorsese que nous évoque Crave, mais pas Taxi driver. On pense plus à After hours, qui racontait aussi le parcours d’un pauvre type à la dérive dans une ambiance nocturne, mais avec un ton oscillant entre humour noir et inquiétante étrangeté.
C’est ce même cocktail qui fait le charme du film de Charles de Lauzrika, mais qui en constitue aussi la limite.
En effet, on ressent le décalage entre les scènes fantasmées gore, assez délirantes, et le final presque comique, qui voit le personnage subir un incroyable enchaînement de problèmes et d’aléas cruels à souhait, et le côté sérieux de l’histoire racontée.
Car le coeur du film repose sur une exploration des zones d’ombres de chaque personnalité, les côtés obscurs de la nature humaine, les fantasmes violents et les perversions.
Aiden est lâche, jaloux, égocentrique, limite asocial. Virginia n’est pas une sainte non plus. Elle séduit Aiden pour un coup d’un soir, joue avec ses sentiments sans avoir réellement envie de partager sa vie avec lui. Cet aspect du film, très amer, aurait mérité un traitement plus intimiste, qu’empêchent les embardées horrifico-comiques.
Dommage… Mais au moins, il y a dans ce film des ambitions artistiques réelles et une mise en scène digne de ce nom. On ne va pas faire trop la fine bouche…
Note : ●●●●○○
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“The Butterfly room” de Jonathan Zarantonello
Barbara Steele fut longtemps considérée comme la reine des “Scream queens”, la diva du cinéma d’épouvante, grâce à ses formes affriolantes et son étrange beauté. Elle a illuminé de sa classe et son talent des films devenus mythiques, comme Le Masque du démon de Mario Bava, La Chambre des tortures de Roger Corman, Danse Macabre d’Antonio Margheriti…
Dans Butterfly room, elle a pris quelques années, quelques kilos, quelques rides, mais son regard n’a rien perdu de son intensité, et son charisme reste intact. Elle est assez formidable dans le rôle qui lui a été confié. Celui d’une vieille femme obsédée par la maternité, et basculant dans la folie meurtrière.
Son personnage, Ann a été une mère abusive, trop stricte, trop autoritaire, trop étouffante, à tel point que sa fille, Dorothy, à peine devenue adulte, a quitté le domicile familial et rompu tout contact avec elle. Restée seule, Ann ressasse encore et encore sa frustration, et essaie d’occuper son temps à collectionner les papillons. Un jour, elle rencontre Alice, une adolescente qui lui rappelle beaucoup sa fille. Pour elle, c’est l’occasion de se prouver qu’elle peut être une mère tout à fait digne de ce nom, aimante et aimée en retour. La petite Alice ayant l’air tout à fait encline à se laisser materner, une curieuse relation se noue entre elles. Jusqu’à ce que Ann comprenne les réelles motivations de la jeune fille et que, blessée par ses mensonges et sa trahison, elle ne décide de collectionner autre chose que des papillons…
Barbara Steele est très bien, donc. Le problème, c’est que le metteur en scène, Jonathan Zarantonello, n’est ni Mario Bava, ni Riccardo Freda. Juste un petit malin qui s’est dit qu’il allait faire un coup marketing en enrôlant la grande dame du ciné fantastique des années 1960, mais aussi un incroyable casting de “scream queens” – Heather Langenkamp (l’héroïne des Griffes de la nuit et de Freddy 3, les griffes du cauchemar), Adrienne King (la survivante du premier Vendredi 13), P.J. Sole (une des victimes de Michael Myers dans Halloween, la nuit des masques), Erica Leerhsen (tombée sous la tronçonneuse de Leatherface dans le remake de Massacre à la tronçonneuse et plus chanceuse face aux dégénérés de Virginie occidentale dans Détour mortel 2), Camille Keaton (l’héroïne du rape & revenge-choc I spit on your grave) – renforcé par la présence de Ray Wise (le papa de Laura Palmer dans Twin Peaks). Du beau linge, hélas pas du tout exploité à sa juste valeur.
Avec un casting aussi référentiel, on s’attendait à slasher haletant, aux meurtres élaborés et spectaculaires, multipliant les clins d’oeil aux classiques du genre. A la place, on a droit à un film confus, à l’intrigue poussive, dénué de suspens. Le “mystère” autour de la chambre aux papillons est en effet éventé dès le premier quart d’heure du récit, dans un salmigondis de flashbacks assez laids. Et le reste du film est des plus linéaires et prévisibles, se contentant d’un ou deux éclats de violence bien trop sages pour susciter notre intérêt.
La présence des actrices et des acteurs cités plus haut? Au mieux des seconds rôles très mal exploités, au pire de simples caméos juste destinés à appâter le gogo amateur de films de genre.
Seule la reine Barbara Steele parvient à peu près à tirer son épingle du jeu, malgré le manque de consistance de son personnage et une direction d’acteurs laissée à l’abandon par Zarantonello. Mais c’est insuffisant pour réussir à sauver le film du naufrage
On suggère à notre sorcière bien-aimée de mieux choisir les projets dans lesquels elle s’investit, et on conseille à Jonathan Zarantonello d’arrêter le cinéma pour se consacrer à la chasse aux papillons, parce qu’entre son précédent film, UncuT, bidule expérimental provocateur cadré en dessous de la ceinture, et la débandade que constitue The butterfly room, on commence sérieusement à douter du talent du bonhomme…
Note : ●●○○○○
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“Doomsday book” de Yim Pil-sung et Kim Jee-Woon
Le film à sketches est un genre casse-gueule, car souvent les histoires proposées sont de qualité inégale, de teneur inégale, et ce déséquilibre nuit à l’appréciation globale de l’oeuvre. Ce n’est pas le cas de Doomsday book, dont les trois segments sont réussis, tant au niveau de la narration et des qualités artistiques que du traitement du thème imposé : l’humanité face à l’apocalypse.
Les trois sketches sont très différents, reposant sur des idées et des tonalités opposées, mais réussissant in fine à être complémentaires les uns des autres et à former un ensemble cohérent.
Le premier, “Brave new world”, est une fable écolo sur le thème des virus exterminateurs et de la maladie de la vache folle, doublée d’une comédie horrifico-romantique avec des zombies.
On y suit les déboires de Seok-woo, un pauvre type qui aimerait bien profiter de l’absence de ses parents et de sa soeur, partis en vacances, pour faire venir sa nouvelle petite amie et coucher avec elle. Avant cela, l’appartement doit être nickel. Alors, il doit s’occuper de tout le capharnaüm laissé par ses proches, sortir les poubelles, nettoyer la vaisselle empilée sur le bord de l’évier, et notamment l’infâme gamelle qui traîne là depuis on ne sait combien de jours – ou d’années, vu la gueule du truc… – ainsi qu’un trognon de pomme pourri datant lui aussi de Mathusalem.
Des déchets bien dégueus qui vont finir, bon gré mal gré, dans l’alimentation du bétail, vont être ingurgités par les bovins, contaminer la viande et les abats, et se retrouver finalement…
… dans l’assiette de Seok-woo, venu dîner au restaurant avec sa conquête pour un dîner romantique, préambule de la partie de jambes en l’air qu’il a planifiée.
Evidemment, ces projets tombent à l’eau quand le garçon, contaminé par la viande frelatée, est pris de violents accès de colère qui poussent sa bien-aimée à fuir. Premiers symptômes d’une transformation en zombie furibard avide de chair humaine…
D’autres clients ayant mangé dans le même restaurant sont pris des mêmes vertiges et se mettent eux aussi à propager l’épidémie en croquant leur prochain. Bonheur, cadeau, partage… Qu’est-ce qu’elle dit déjà, la pub? Ah oui, “Le boeuf, le goût d’être ensemble”. Bien vu!
28 jours plus tard, à peu près, la Terre ne sera plus peuplée que par des zombis …
Entre deux séquences apocalyptiques – et comiques – on ne peut s’empêcher d’avoir une pensée pour le pauvre Seok-woo, qui n’aura pas pu se faire déniaiser avant la fin du monde. A moins que les zombis ne soient eux-aussi de grands sentimentaux et soient eux aussi animés de désirs charnels – comprenez, autres que l’envie d’aller croquer le premier jarret venu…
Bien mené et assez fun, ce segment fait réfléchir sur l’inconséquence des êtres humains, les problèmes de pollution et de gestion des déchets, la malbouffe, la rapidité de propagation des épidémies dans les grandes villes, et pose l’amour comme la valeur la plus noble définissant notre humanité, dans un final émouvant…
Le troisième segment, “Happy birthday!” est aussi une comédie. Une gamine commande sur internet une boule de billard, pour l’offrir à son papa, fan de ce jeu. Illico, la commande est traitée par le magasin et la boule de billard en question est expédiée. Service impeccable. Seul problème, le site en question est extra-terrestre et le paquet expédié, de la taille d’un très gros astéroïde, file vers la Terre à grande vitesse.
L’humanité retient son souffle en attendant l’impact, qui menace de faire exploser notre planète.
Les journalistes tiennent l’antenne jusqu’au bout – quels pros ! – tout comme les présentateurs du téléachat, qui essaient de vendre des capsules de survie peu pratiques – quels escrocs!
Pendant ce temps, cachés dans leur abri anti-atomique, la fillette et son tonton scientifique tentent de se reconnecter au site alien et annuler la commande…
C’est surtout une farce qui raille le comportement égocentrique de certaines personnes, obsédées par la gloire, l’argent, le travail ou le jeu, qui délaissent leurs proches et oublient les choses essentielles de la vie. Au moment d’affronter la fin du monde, tout devient dérisoire. Ce qui compte le plus, c’est de partager ces derniers instants avec ceux que l’on aime, ses proches, ses parents, ses enfants… Et la comédie se termine par une pointe d’émotion bienvenue.
On a gardé le meilleur pour la fin : le second segment, “Heavenly creature”, se veut plus profond, plus grave, plus émouvant que les deux autres.
Loin du style déjanté et survitaminé de ses deux derniers longs-métrages, J’ai rencontré le diable et Le bon, la brute et le cinglé, Kim Jee-woon signe un véritable petit bijou, à la fois philosophique et mystique.
Dans un monastère bouddhiste, un robot androïde est pris subitement de questionnements purement humains. Il se convertit de lui-même au bouddhisme et affirme avoir atteint l’illumination, permettant l’accession au nirvana.
Une discussion animée oppose les cartésiens, persuadés qu’il s’agit d’un bug et décidé à envoyer à la casse cet androïde obsolète pour le remplacer par la nouvelle version, les moines, ébahis par ce miracle qui vient conforter leur foi, et d’autres croyants frustrés de voir une vulgaire machine réussir à atteindre en quelques jours ce que certains d’entre eux ne connaîtront peut-être jamais dans cette vie.
La fable se termine dans un torrent d’émotions, quand le robot, le plus touchant vu sur un grand écran depuis WALL-E, délivre aux humains le plus beau et le plus sage des messages. Un message offrant de l’espoir à une humanité menacée par son propre aveuglement, sa violence et sa bêtise. Sublime.
Certains esprit chagrins ne se priveront pas de considérer ce segment hors-sujet, car ne traitant pas vraiment de l’Apocalypse. Ils ont tort. Certes, Kim Jee-woon ne parle pas de la fin du monde telle qu’on la fantasme habituellement, entre catastrophes et morts en cascades, mais il parle bien de la fin d’un monde, de la disparition de l’humanité telle qu’on la connaît.
A vrai dire, c’est la même démarche que dans les deux autres sketchs. A chaque fois, des humains survivent à la catastrophe. Mais soit leur environnement est transformé – comme à la fin du troisième sketch – soit ils sont transformés, physiquement dans le premier sketch, spirituellement dans le second.
Dans tous les cas, le monde change et peut se reconstruire sur d’autres bases, d’autres valeurs morales, d’autres mentalités…
Le message des cinéastes est des plus clairs. Est-il nécessaire d’attendre la fin du monde – certes pour très bientôt, selon les Mayas – pour réfléchir à notre inconséquence, à nos erreurs, à nos comportements destructeurs? Est-il nécessaire d’attendre l’apocalypse pour comprendre ce qui définit notre humanité, et pour nous focaliser sur les choses essentielles?
Doomsday book a mis du temps à être finalisé, faute de financements et suite au forfait du troisième réalisateur pressenti. Mais cela valait la peine d’attendre. Yim Pil-sung et Kim Jee-Woon ont réussi leur pari : distraire tout en provoquant la réflexion, faire rire, effrayer et émouvoir au sein du même film, en mélangeant les genres et les influences.
Pour nous, il s’agit du meilleur film présenté en compétition au PIFFF cette année.
Note : ●●●●●●
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“Modus Anomali” de Joko Anwar
Curieux film que ce Modus anomali.
Pour adopter le Fausto Fasulo’s style, on va dire que c’est un peu comme si Apichatpong Weerasethakul avait décidé de réaliser un thriller horrifique, quelque part entre le survival horror et le scénario à rebondissements multiples façon Saw. Le résultat étonne, forcément…
Pendant la première moitié du film, le spectateur est forcé de s’identifier au seul personnage présent à l’écran, un homme qui se réveille dans un trou, à moitié enterré. Il réalise qu’il est en pleine forêt, complètement paumé, et qu’il a perdu la mémoire. En cherchant de l’aide, il tombe sur une voiture dont les clés de contact ont disparu, une maison isolée au milieu des bois et… un cadavre de femme atrocement mutilé. Un caméscope à proximité lui apprend que la victime, enceinte, a été éventrée par un dangereux maniaque.
Le tueur est encore là, dehors. Il veut jouer un peu avec lui avant de le mettre à mort. Il l’entraîne dans la forêt en l’attaquant à distance et le pousse à participer à un jeu de piste particulier. Des réveils matin guident l’amnésique vers d’autres cadavres, d’autres dangers, et surtout vers la vérité…
Une vérité surprenante (ou pas) qui fait illico basculer le film vers un autre registre. Mais chut, pas un mot de plus pour ne pas gâcher le plaisir des spectateurs qui voudront le découvrir, s’il sort un jour en salle ou en vidéo. Disons juste que la seconde partie est un peu superflue, moins réussie narrativement, mais correctement exécutée.
Ce n’est pas totalement abouti, mais le résultat est intéressant. Il confirme qu’il y a une certaine fraîcheur dans l’approche du cinéma de genre par les auteurs indonésiens. Après Macabre, des frères Mo, film gore généreux et assez inventif, bien que plombé par une interprétation grotesque et un scénario nawakesque, et surtout The Raid, nouvelle référence du cinéma d’action hard boiled, Modus Anomali se distingue par son rythme atypique, son scénario bien fichu (hormis, donc, le dernier acte dispensable), sa façon de créer l’angoisse avec un minimum d’effets et vient confirmer la bonne santé du cinéma indonésien, qui arrive à bricoler de bons petits films de genre avec des budgets très faibles et de bonnes idées.
Note : ●●●●●○
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“The Body” d’Oriol Paulo
The Body a provoqué une petite polémique entre les festivaliers du PIFFF, immédiatement après la projection, et surtout, après l’annonce du palmarès, qui l’a vu remporter le Grand Prix du Jury. La question qui brûlait toutes les lèvres était la suivante : The Body est-il un film fantastique? Et si non, pourquoi a-t-il remporté le prix le plus prestigieux d’une manifestation dédiée au cinéma fantastique?
C’est un peu la même polémique que celle qui avait éclaté cette année au Festival du film policier de Beaune, quand Margin Call avait remporté le Grand Prix. Margin Call était-il un vrai film policier? Non, pas du tout… Il empruntait juste quelques éléments de thriller pour conduire le récit, par ailleurs brillamment raconté.
The Body, lui, aurait eu tout à fait sa place à Beaune, puisqu’il s’agit d’un pur thriller, au scénario malin, reposant sur des retournements de situation audacieux. Ce n’est donc pas du tout un film fantastique. Mais il est vrai qu’il emprunte au genre quelques éléments de mise en scène et flirte longtemps avec l’idée d’un dénouement surnaturel, ce qui peut justifier sa place dans la sélection du PIFFF. Et puis, après tout, l’argument “fantastique” de The Cleaner et de In their skin n’est pas franchement plus évident. Peut être que la tendance actuelle du cinéma fantastique/horrifique est au mélange des genres…
En tout cas, The Body propose une intrigue solide, une mise en scène soignée, une photographie élégante, et un jeu d’acteurs à la hauteur. Vu la relative faiblesse des films proposés cette année, on ne va pas faire la fine bouche…
Signé par le scénariste du sympathique Les Yeux de Julia, le film est une variation autour du thème des Diaboliques de Clouzot.
Pour pouvoir vivre avec sa maîtresse, Alex décide de supprimer son épouse encombrante, Mayka. Comme le bonhomme est directeur d’un laboratoire pharmaceutique, il a accès à quelques composés biochimiques létaux , dont une toxine capable de provoquer un infarctus fatal huit heures après l’ingestion, sans laisser de trace. Il sert donc à sa femme le poison dilué dans un verre de Rioja et n’a plus qu’à attendre le décès.
Les choses se corsent quand le cadavre de Madame disparaît de la morgue. Sans cadavre, pas d’autopsie, et sans autopsie, impossible de prouver que Mayka est morte de mort “naturelle”. Pour les flics, Alex devient le principal suspect. S’il a empoisonné sa femme, il avait tout intérêt à ce que le cadavre disparaisse. Et il avait un motif valable pour commettre ce meurtre : l’héritage. Mayka était en effet pleine aux as…
Alex se retrouve donc convoqué sur place par les policiers, le temps de démêler cette curieuse affaire…
Et le cauchemar ne fait que commencer. Il s’aperçoit très vite que quelqu’un joue avec ses nerfs, quelqu’un qui sait qu’il a commis un meurtre et s’ingénie à laisser dans la morgue des preuves susceptibles de l’incriminer. Qui est au courant des plus infimes détails de son crime? Sa maîtresse? Elle était avec lui au moment de la disparition du corps… Une tierce personne? Mais comment aurait-elle eu accès à toutes ces informations? Sa femme? Possible… Mais il faudrait qu’elle ait trouvé un moyen de simuler sa mort, puis de simuler sa disparition. A moins qu’elle ne soit tout simplement revenue d’entre les morts pour se venger de lui…
Il est là, l’argument fantastique, dans ce court laps de temps où le cinéaste flirte avec le film de fantôme. Il crée une atmosphère angoissante, piégeant lentement le personnage principal – et le spectateur avec lui – dans les fils d’un complot particulièrement retors. Au bout d’un moment, on se met à douter de ce que l’on est en train de voir, de la santé mentale du personnage, de la mort de Mayka. On se retrouve délicieusement perdu, et on se laisse piéger par les rebondissements de l’intrigue, belle et imprévisible mécanique scénaristique qui est également bien soutenue par la mise en scène d’Oriol Paulo.
Le cinéaste n’en est qu’à sa première réalisation, mais il prouve qu’il a déjà assimilé les leçon de ces maîtres que sont Henri-Georges Clouzot et Alfred Hitchcock. Chaque plan est intelligemment pensé, provoquant le suspense ou orientant le spectateurs sur de fausses pistes, pour mieux le surprendre par la suite et rendre inattaquable le retournement de situation final, qui aurait pu paraître ridicule chez des cinéastes moins inspirés.
Et puis, le débutant a su s’entourer d’une équipe expérimentée, du directeur de la photo Oscar Faura, chef op attitré de Jaume Balaguero et de Juan Antonio Bayona, à la chef décoratrice Nuria Muni, en passant par le compositeur Sergio Moure. Tous ont fait du beau travail sur ce film, à l’atmosphère particulièrement soignée.
Et puis, il y a les acteurs, évidemment.
José Coronado et Hugo Silva, qui s’affrontent ici dans les rôles respectifs du flic et du suspect principal, ne sont pas très connus en France, mais font partie des meilleurs acteurs espagnols. Le premier a remporté cet année le Goya du meilleur acteur pour son rôle de flic ripou dans No rest for the wicked, le second poursuit une belle carrière au cinéma et à la télévision.
La disparue est incarnée par Belen Rueda, qui nous avait bouleversés dans L’Orphelinat de Juan Antonio Bayona, mais aussi dans Les Yeux de Julia ou dans Mar Adentro. Et la maîtresse du personnage principal est jouée par la belle Aura Garrido, un des jeunes espoirs du cinéma espagnol.
Fort de son intrigue bien construite, de son interprétation en béton et de toutes ses qualités artistiques, The Body est loin d’être un Grand Prix honteux. On aurait préféré voir triompher Doomsday book ou Citadel mais ce film-là est néanmoins un joli morceau de cinéma, que l’on espère fortement voir sortir prochainement en salle…
Note : ●●●●●○
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