Après nous avoir emmenés sur un petit nuage avec leur épatant Tout ce qui brille, Géraldine Nakache et Hervé Mimran ont décidé de continuer le voyage aérien au-dessus de l’Atlantique, jusqu’à New-York, qui sert de décor à leur nouveau film.
Mais nombreux seront ceux qui trouveront l’atterrissage difficile, hélas…
Ce second long-métrage raconte le séjour de trois garçons dans la “Grande Pomme”.
Michaël (Manu Payet), Nabil (Nader Boussandel) et Sylvain (Baptiste Lecaplain) sont trois copains issus de la même cité de Nanterre. Ils partent aux “States” pour quelques jours, le temps de faire une surprise à leur amie d’enfance, Samia (Leïla Bekhti), à l’occasion de son anniversaire. C’est Gabrielle (Géraldine Nakache), le dernier membre du quintette, qui a tout organisé. Les deux jeunes femmes ont tout plaqué deux ans auparavant, pour tenter leur chance à New-York. Samia est devenue l’assistante personnelle d’une star de cinéma frappadingue (Sienna Miller) qui accapare tout son temps. Gabrielle, de son côté, travaille dans une maison de retraite. Les trois garçons, eux, n’ont jamais vraiment connu autre chose que leur cité natale…
Le début du film repose à peu près les mêmes ressorts comiques que Tout ce qui brille, le choc entre deux mondes différents – France et Etats-Unis, milieu modeste et haute société. Sauf que, évidemment, les gags tournent plus autour du décalage culturel et linguistique, et des clichés français sur l’Amérique.
Et que c’est bien moins drôle et moins rafraîchissant que Tout ce qui brille.
En effet, les gags sont plus rares et , paradoxalement, plus répétitifs, à l’instar de cet “Obama!!!” qui sert de cri de ralliement aux trois garçons. Il manque aussi un peu du tonus qu’arrivait à insuffler le duo Bekhti/Nakache (ici relégué au second plan) et la pétillante Audrey Lamy.
On ne s’ennuie pas vraiment, mais le résultat manque singulièrement de relief, et on ne peut s’empêcher de trouver dommage que les auteurs n’exploitent pas mieux certaines situations potentiellement drôles…
On pourrait s’en tenir à ce constat et détester le film, l’agonir de reproches tout en encensant Tout ce qui brille… Mais il serait dommage – et profondément injuste – de ne pas poursuivre le voyage pour profiter de ce qu’il a à offrir.
C’est le moment de préciser une chose essentielle : Nous York n’est pas une pure comédie. Du moins pas au sens burlesque du terme. On est plus, ici, dans le registre de la “comédie sophistiquée”, une fantaisie un brin amère et sentimentale.
Les auteurs ont voulu, et c’est audacieux de leur part, proposer autre chose que ce qui a fait de leur premier film un succès public. Les ingrédients sont à peu près les mêmes, mais le dosage est différent. Le comique est ici nettement moins présent que la romance, le rire s’efface devant l’émotion, la pointe de gravité donne à l’oeuvre une tonalité très différente…
Ce qui aurait pu n’être qu’une banale comédie sur les tribulations de trois lascars de Nanterre dans les rues de New-York se transforme en chronique sensible, abordant le thème des liens entre les générations, du passage à l’âge adulte, ou de la solitude en milieu urbain…
Et ce qui aurait pu n’être qu’une énième histoire d’amitié indéfectible entre des copains d’enfance montre au contraire la distension des liens au sein de ce groupe. Les protagonistes découvrent qu’ils ont changé et n’ont plus les mêmes rêves qu’avant, ni les mêmes envies. Et qu’ils n’ont plus forcément les mêmes affinités qu’auparavant…
En même temps, ils retrouvent une certaine complicité, se redécouvrent. Certains se rendent compte qu’ils ont besoin du groupe pour continuer d’évoluer, d’autres qu’ils ont besoin de prendre leurs distances pour mener leur propre vie…
Nous York est surtout un récit initiatique tournant autour de ces cinq trentenaires, tous coincés dans une vie qu’ils ne maîtrisent plus.
Samia est trop occupée à faire l’esclave pour sa patronne, star capricieuse et ingrate, pour s’occuper de ses proches. Gabrielle est également trop occupée par son métier pour s’intéresser à sa propre vie privée. Nabil et Michaël semblent être au chômage et fauchés comme les blés, et n’ont d’autre horizon que la vie à la cité. Sylvain travaille, mais ne semble pas plus rouler sur l’or, obligé de cohabiter avec une mère-poule envahissante…
Tous ont du mal à affirmer leurs sentiments, à se projeter vers l’avenir.
Leurs retrouvailles dans la ‘”ville qui ne dort jamais” vont servir de catalyseur à leur nouvel élan, à leur nouvelle vie…
La forme du film accompagne leur prise de conscience de leur potentiel, de leur pouvoir de séduction, de leurs qualités humaines, et de la chance qu’ils ont d’avoir une famille, des amis…
Les cinéastes multiplient les plans où les personnages sont assis, souvent de dos, dérisoires face à l’immensité de la ville – et, par la même occasion, de la vie… Tout-petits, mais pleins d’énergie, pleins d’amour, prêts à dompter la ville, comme dans la chanson “New York, New York”, interprétée par Liza Minelli dans le film éponyme de Scorsese. Une chanson qui fait écho à la “Chanson sur ma drôle de vie” de Tout ce qui brille, et qu’interprètent en coeur les protagonistes pour accompagner leur nouveau départ. C’est certes moins émouvant que la version originale ou que la reprise de Cary Mulligan dans Shame mi cela procure quand même un délicieux petit frisson…
La bande-son est d’ailleurs une fois de plus fort bien pourvue en titres de qualité, qui participent aussi à l’ambiance douce-amère de l’oeuvre, tout comme la musique originale de Fantastic Nobody.
Joliment mis en images et en musique, Nous York est également porté par des comédiens très complices et talentueux. Outre les cinq protagonistes principaux, le film bénéficie d’un beau numéro, tout en tendresse, de Marthe Villalonga, parfaite en vieille mère juive française oubliée par ses enfants dans une maison de retraite, et d’un beau pétage de plombs de Sienna Miller en movie-star psychopathe. Il révèle aussi le joli minois de Dree Hemingway, qui marche sur les traces de sa mère, Mariel, dont les cinéphiles se souviennent surtout pour son rôle de la jeune Tracy dans le… Manhattan de Woody Allen…
Martin Scorsese, Woody Allen… Des références écrasantes que nous nous garderons bien de pousser plus avant. Nous York ne possède pas les qualités dramatiques ou humoristiques des oeuvres précitées, et ses auteurs n’ont pas la prétention de rivaliser avec les deux maîtres du cinéma newyorkais. Cela dit, le film recèle quelques jolis moments de cinéma, où l’émotion arrive à passer par-delà l’écran. “To the nos coeurs”, comme dirait le personnage incarné par Nader Boussandel…
On rit peu, c’est vrai, mais on est souvent touchés par ces personnages et leurs petits problèmes existentiels. Il y a un ton particulier, des ambitions formelles… C’est toujours mieux que bon nombre de comédies calamiteuses produites chaque année par le cinéma français, que, par pure charité, nous ne citerons pas ici.
On peut bien sûr préférer Tout ce qui brille – qui, pour rappel, n’était pas exempt de maladresses non plus – mais il serait vraiment dommage de pas se laisser séduire par ce film sympathique qui, malgré ses nombreuses maladresses et sa partie comique insuffisamment exploitée, promet des oeuvres futures plus abouties. Après tout, n’oublions pas que le frère de Géraldine Nakache, Olivier, et son comparse Eric Tolédano, ont réalisé trois films très diversement accueillis par le public et la presse avant de connaître un incontestable succès avec Intouchables. Nul doute que l’actrice/réalisatrice et son compagnon Hevé Mimran sauront tirer les leçons de cette seconde réalisation pour s’améliorer…
Ce n’est pas encore le Pérou, mais c’est un peu l’Amérique, et c’est déjà bien…
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Nous York Réalisateurs : Géraldine Nakache, Hervé Mimran |
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