Un jeune homme parcourt une petite ville de République Démocratique du Congo à la recherche d’un emploi. Il aimerait pouvoir travailler dans son pays, gagner décemment sa vie, se marier avec une fille du coin, mais un vieil entrepreneur lui conseille plutôt de fuir, de partir pour d’autres contrées où l’emploi est moins rare et plus rémunérateur. Le garçon hésite. Ici, il a quand même ses habitudes, ses amis et tous ces enfants à qui il enseigne les rudiments de la boxe. Mais le retentissement d’un coup de feu lui rappelle que son pays est encore fragile, après des années de dictature et de conflits ethniques ou politiques. Il doit se rendre à l’évidence : l’avenir, pour lui, n’est plus en Afrique. Il décide alors de tenter sa chance en Europe, cet Eden économique et social fantasmé.
Commence alors un véritable parcours du combattant, celui que des dizaines d’africains de toutes origines tentent d’accomplir chaque jour pour fuir la misère, la famine, les guerres et les régimes despotiques. Le jeune homme quitte tout pour partir à l’aventure et rejoindre le nord du continent. Là, il lui faut trouver un passeur qui accepte de l’emmener en Europe, et réunir la forte somme nécessaire à le payer, en priant que l’homme ne soit pas un escroc ou un salopard qui l’abandonnera avant le terme du voyage.
Il faut ensuite traverser la Méditerranée. Un périple qui n’a rien d’une croisière touristique. Entassés à plus de douze sur un minuscule canot à moteur, les migrants vont passer de longs jours et de longues nuits dans des conditions particulièrement inconfortables : froid, humidité, faim, soif, peur d’être emporté par une vague, percuté par un chalutier ou intercepté par les gardes côtes.
Ce type de voyage éprouvant avait été raconté dans le détail par Merzak Allouache dans Harragas ou par Moussa Touré dans La Pirogue. Ici, dans Nous irons vivre ailleurs, Nicolas Karolszyk opte pour quelque chose de plus condensé, mais tout aussi efficace. Il rend bien compte, grâce à son montage, de la longueur insupportable de la traversée, pendant laquelle les migrants n’ont d’autre choix que d’attendre, recroquevillés et mutiques.
Mais ce qui intéresse le cinéaste, c’est autant cette traversée périlleuse que les ennuis qui attendent le personnage une fois arrivé à destination.
Car finalement, le jeune homme parvient à débarquer sur le sol espagnol, avant de pénétrer en France, où il demande l’asile politique.
Entre la France et lui, c’était écrit. Une évidence… Il se prénomme Zola, comme l’écrivain, et a baigné, très jeune, dans la culture française. Il maîtrise la langue, connaît par coeur l’histoire de France, les noms des chefs-lieux de département, mieux, sans doute, que certains français de souche. Ce n’est pas dans son pays de naissance, mais c’est son pays d’adoption. Il veut s’y intégrer, y construire sa carrière, sa vie personnelle.
Le problème, c’est que la France, elle, ne veut pas de lui. La France administrative, du moins. Zola est entré clandestinement sur le territoire. Il n’a pas de papiers d’identité, pas de permis de séjour. Pour les autorités, c’est un “nuisible”, un “parasite” dont il faut se débarrasser au plus vite.
Parqué avec d’autres migrants dans un centre de rétention, Il tente de demander l’asile politique, en vain. Marianne est une vieille dame maintenant, elle reste parfois sourde aux suppliques de ceux qui viennent taper à sa porte. La Juge chargé d’expédier son cas lui annonce froidement la décision, qui signifie qu’il doit retourner dans son pays d’origine, retrouver les ruines fumantes de Kinshasa et essayer d’y survivre, délesté de toutes ses économies, qui auront servi à financer cet aller-retour express.
Mais, comme elle est dans un bon jour, la magistrate décide de laisser Zola ajouter un mot. Moment de grâce où le jeune homme revendique son statut de “Citoyen du Monde” (“Seul les arbres ont des racines, moi j’ai mes jambes… “) et plaide sa cause dans un français impeccable. Il explique pourquoi il ne peut plus rester au Congo, pourquoi il a choisi de venir s’installer dans l’hexagone.
Bridée par les textes de loi, mais conquise par la prose de Zola, elle lui autorise un délai de un mois pour régulariser sa situation. Il est libéré en attendant de pouvoir faire établir un permis de séjour ou, à défaut, d’être expulsé. Evidemment, le délai est trop juste pour obtenir le précieux sésame, surtout quand on se retrouve livré à soi-même, sans le sou, dans une ville inconnue… Ce n’est qu’un sursis avant l’expulsion programmée. Mais au moins, il a le droit de fouler le sol français, en toute liberté, ou presque. Et à partir de là, il peut opter pour une vie dans la clandestinité, avec ce que cela implique comme nouveaux problèmes…
Ce long-métrage, le premier de Nicolas Karolszyk, est une oeuvre forte, qui émeut, souvent, provoque le malaise, parfois, et nous pousse de bout en bout à nous interroger sur le sens profond de nos valeurs fondamentales “Liberté, Egalité, Fraternité” à l’aune du sort réservé à ces êtres humains, nos frères, qui ont dû fuir leur pays d’origine, souvent à contrecoeur, pour venir tenter leur chance dans notre pays.
Ce n’est pas un film politique. C’est un film humaniste. Le cinéaste ne fait pas ni dans la provocation gratuite, ni dans l’excès d’angélisme. Il confronte son personnage à d’autres migrants qui lui expliquent que l’Europe n’est pas cet Eldorado que certains leur décrivent au pays. Les économies sont en crise, les taux de chômage élevés. Et, dans ces conditions, l’accueil des autochtones est forcément plus froid. Mais cela ne devrait pas empêcher les gens d’éprouver un minimum de compassion pour ces immigrés clandestins qui ne demandent qu’à s’intégrer dans notre société, ni de leur témoigner le respect auquel ils ont droit en tant qu’être humains. Dans le film, l’accueil est globalement plus que froid, glacial. Les fonctionnaires de la police ou des palais de justice font leur métier sans une once de compréhension ou de tolérance. Les clandestins sont traqués comme des animaux sauvages, et traités comme tels. Le film veut ouvrir les regards, faire prendre conscience de ces atteintes à la dignité humaine. En ces temps troublés où le racisme connaît une certaine recrudescence, et où les immigrés cristallisent toutes les peurs de notre société, notamment à cause des discours dangereux de certains politiciens extrémistes, la démarche est salutaire.
Par ailleurs, si ce n’est pas un film politique, c’est un quand même un long-métrage qui pose des questions politiques. Il parle des délais de régularisation absurdes, du manque de structures pour aider et conseiller les immigrés à s’intégrer efficacement,… Il aborde aussi, en filigrane, l’absence d’intervention des pays européens dans certains pays africains rongés par les conflits civils et les dictatures, et un soutien insuffisant aux économies africaines, trop pauvres pour pouvoir éviter ces flux migratoires massifs.
Là encore, la démarche est louable. Elle oblige à réfléchir sur l’attitude de nos hommes politiques face aux malheurs du monde. Pourquoi intervient-on dans certains conflits et pas dans d’autres? Pourquoi ferme-t-on les yeux sur des régimes dictatoriaux terrifiants?
Mais ce qui nous frappe surtout, dans Nous irons vivre ailleurs, c’est sa formidable énergie. C’est une première réalisation, une “oeuvre de jeunesse”, comme on dit, qui n’est pas dépourvue de maladresses ou de petits défauts, mais qui compense par une force brute, naturaliste, qui lui confère tout son charme. Le principal problème de Nicolas Karolszyk a évidemment été son manque de moyens financiers. Mais le jeune cinéaste en a fait un atout. Son tournage ressemble beaucoup au parcours du personnage. Il a été réalisé sans moyens, sans autorisations de tournage, dans la clandestinité et l’urgence. On sent que le cinéaste, son acteur principal – excellent Christian Mupundo – et tout le reste de leur petite équipe d’acteurs et de techniciens ont mis toute leur âme, tout leur coeur, toutes leurs tripes dans la confection de ce film-guérilla.
On ne peut donc que s’incliner face à tant de conviction, d’énergie et de volonté à aller au bout de ce projet, surtout que le film est aussi intéressant d’un point de vue esthétique, avec son choix de couleurs très insaturées, proche du noir & blancs, alternant plans sombres et contrejours très lumineux, presque aveuglants, ses mouvements de caméra appliqués, hérités de Bresson ou de Cassavetes. En plus d’être un vibrant humaniste, Nicolas Karolszyk est un vrai cinéaste.
Vous l’aurez compris, nous avons été emballés par ce premier film puissant et intelligent, qui véhicule ces valeurs importantes trop rarement défendues sur grand écran aujourd’hui. Notamment celles qui constituent la devise de notre nation, piétinées allègrement par ces politiciens imbéciles qui abreuvent le peuple de discours catastrophistes sur l’immigration. “La France ne peut accueillir toute la misère du monde” disent-ils, citant un ex premier-ministre en oubliant l’essentiel, la fin de cette petite phrase : “mais elle doit savoir en prendre fidèlement sa part". A méditer…
_______________________________________________________________________________
Nous irons vivre ailleurs Nous irons vivre ailleurs Réalisateur : Nicolas Karolszyk |
______________________________________________________________________________